Saint-John Perse dit à propos de la poésie :
"L'obscurité qu'on lui reproche ne tient pas à sa nature propre, qui est d'éclairer, mais à la nuit même qu'elle explore et qu'elle se doit d'explorer : celle de l'âme elle-même et du mystère où baigne l'être humain. Son expression toujours s'est interdit l'obscur, et cette expression n'est pas moins exigeante que celle de la science."
« Allocution au Banquet Nobel du 10 décembre 1960 »,
Bibliothèque de la Pléiade, Editions Gallimard, 1972, pp. 445-446.
En vous appuyant sur l'analyse d'exemples précis, vous direz dans quelle mesure vous partagez cette conception de la poésie
[...] Cette révélation, qui se fait jour au moyen de la poésie, touche à l'essence même de l'homme. Ainsi, les termes tels que mystère et âme utilisés par Saint-John Perse, semblent-ils faire de la création poétique le lieu d'un dévoilement quasi mystique et religieux, celui d'un au-delà obscur pour le commun des mortels et que le poète est seul apte à éclairer Cet au-delà de l'humanité peut être analogique comme chez Platon, les poètes de la Pléiade et, dans une certaine mesure, chez Baudelaire, par l'intermédiaire des correspondances ; mais il peut aussi être chrétien comme chez Hugo : le poète est alors un mage seul capable de comprendre ce que dit la bouche d'ombre ; ou, comme le Moïse de Vigny, il est le seul à pouvoir se dresser debout devant Dieu et à lui parler face à face La poésie semble donc effectivement éclairer et explorer la nuit ( ) où baigne l'être humain Cependant, si le poète paraît, à travers le propos de Saint-John Perse, quitter victorieusement la grotte du commun des mortels pour parvenir à un au-delà idéal et éblouissant, il n'est pas fait mention du risque réel qu'engendre cette descente dans l'« obscurité ce voyage au bout de la nuit Ce péril du poète prend deux formes principales : le silence d'abord qui marque la fin des carrières littéraires et poétiques de Mallarmé et Rimbaud ; la folie ensuite qu'explore Nerval qui frôle les limites du raisonnable et le point de non-retour. [...]
[...] Elle peut les organiser en une sorcellerie évocatoire selon le mot de Baudelaire dans Fusées. Les mots, libérés de leur emploi utilitaire, fusionnent dans une alchimie du verbe comme le veut Rimbaud et prennent alors tout leur pouvoir d'évocation. Ainsi, Harmonie du soir de Baudelaire épouse-t-il la forme de prière religieuse du pantoum. Le retour périodique de certains vers crée une atmosphère de recueillement quasi mystique et fait pour ainsi dire revivre le Vendredi Saint : Le soleil s'étant noyé dans son sang qui se fige. [...]
[...] Si les morts reprennent vie, c'est pour dire aux vivants qu'ils ne sont que des morts en sursis, surtout à l'époque troublée de l'occupation allemande. Mais surtout la poésie est le genre littéraire qui fait le plus cas des images. La métaphore a en particulier le don de faire sens en rapprochant des réalités totalement distinctes. Par son intermédiaire, le poète déjoue les catégories de l'entendement de Kant et la domination de la raison. Les surréalistes en ont fait ainsi un emploi remarquable par la violence et la force des rapprochements effectués. [...]
[...] La poésie semble donc bien être pleine d'une rigueur quasi scientifique, particulièrement mnémotechnique, et se présenter comme une enquête sur les ténèbres de la conscience humaine. Cependant, la définition de Saint-John Perse est un peu trop péremptoire et catégorique pour rendre compte de la totalité de la création poétique puisqu'il parle d'obscurité que la poésie se doit d'explorer et d'une expression qui toujours s'est interdit l'obscur Or, l'hermétisme a existé. Cette accusation, ce reproche adressé à la poésie, est tout à fait motivé. [...]
[...] Le verset se dit en un souffle, le temps d'une expiration, et le blanc qui le suit est inspiration. Il suit la logique de sa pensée, en dehors de toute tyrannie de la raison, et même de la syntaxe. La poésie est donc capable de déjouer la raison et les structures mentales classiques de notre esprit ; elle rend intelligibles les mystères obscurs qu'elle donne à voir par des images ; elle cherche une expression apte à transmettre le plus clairement possible son message de révélation. [...]
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