La forme des Essais de Montaigne, publiés en 1580, était inédite à cette époque et reste toujours originale actuellement. C'est peut-être parce que l'auteur s'est lancé dans un projet peu défini que l'œuvre apparaît comme un mélange d'éléments disparates et inorganisés. Il ne s'agit ni d'une autobiographie à proprement parlé, ni d'une leçon de morale mais plutôt d'un ensemble hybride qui emprunte à ces deux genres. La construction de l'œuvre n'indique donc pas clairement la portée souhaitée. Jean Starobinski s'interroge sur la genèse des Essais dans son étude Montaigne en mouvement : « L'essai, en ce qu'il comporte de dubitatif et de réflexif, mais aussi de vie improvisée, devra occuper la place laissée vide par l'allégeance aux exemples. La Boétie a été l'homme-exemple, et sa disparition, avant que ne commence l'entreprise d'écrire, revêt une signification emblématique : il ne pourra jamais être effacé par l'oubli – mais la vertu qui vivait en lui n'a plus de représentant ni de champ d'action en ce monde : plus rien ne peut être fait de ce qu'il eût fait, et de ce qu'il eût sans doute entraîné Montaigne à accomplir avec lui : seulement, cette impossibilité peut et doit être dite, confiée au papier, communiquée au lecteur ». La notion d'essai fait majoritairement problème ainsi que le lien entre la réflexion et les exemples. Montaigne assurait que son livre n'avait d'autre fin « que domestique et privée » or il contient bien des passages de questionnement qui part de la narration de ses expériences personnelles qu'il enrichit grâce à des exemples historiques. L'essai est tout d'abord un texte d'idées. Le désir d'écriture naît effectivement de la vie de l'auteur qui cherche, grâce à cela, un moyen de se réaliser. L'œuvre est conçue comme un substitut de la relation intellectuelle qui aurait dû exister entre les deux hommes. La forme laisse place au doute et au perpétuel retour sur soi. Les exemples seuls, qui peuvent se contredire, ne se suffisent pas à eux-mêmes mais ils font partie intégrante des Essais. Quel intérêt peut avoir le choix de matérialiser son introspection par le biais de l'écriture, pour l'auteur et,surtout, pour le lectorat ?
[...] Les exemples n'ont pas toujours une portée universelle. Même si Montaigne se considère comme un homme moyen dont les expériences peuvent servir à l'établissement de règles générales pour améliorer la vie, ses actes ne recouvrent pas les choix qu'auraient pu faire tous les Hommes. Les exemples sont toujours en rapport avec un contexte donné, avec une philosophie et une religion précises et avec une idéologie appartenant à un groupe social déterminé. Inconsciemment, même si les exemples expriment des situations opposées, leur sélection fait l'objet d'un choix. [...]
[...] La démarche ouverte des Essais, visiblement motivée par le décès de La Boétie, a sans doute contribué à aider Montaigne à accomplir son deuil en se dégageant de l' influence de son ami par le biais de l' expression de ses propres idées. Tout en respectant les valeurs de La Boétie en lesquelles il avait foi, l' écrivain renoue en écrivant avec une éthique de vie qui lui est plus naturelle et qui était moins rigoureuse que celle de [son ami qui exerçait un véritable empire sur lui depuis sa mort] tel que le signale Donald Frame dans Montaigne : une vie, une œuvre. [...]
[...] L'essai est tout d' abord un texte d' idées. Le désir d'écriture naît effectivement de la vie de l'auteur qui cherche, grâce à cela, un moyen de se réaliser. L'œuvre est conçue comme un substitut de la relation intellectuelle qui aurait dû exister entre les deux hommes. La forme laisse place au doute et au perpétuel retour sur soi. Les exemples seuls, qui peuvent se contredire, ne se suffisent pas à eux-mêmes mais ils font partie intégrante des Essais. Quel intérêt peut avoir le choix de matérialiser son introspection par le biais de l'écriture, pour l'auteur et, surtout, pour le lectorat ? [...]
[...] De plus, on ne peut pas mettre bout à bout des exemples sans créer un lien logique. Ils ne peuvent pas occuper la place laissée vide comme le souligne Starobinski. Montaigne ne peut pas se contenter d'un statut de scripteur qui coucherait sur le papier de simples observations. Il doit aller plus loin en analysant les exemples, en les soumettant au doute, en définissant leurs limites et en tentant d' ébaucher des conclusions. Il faut donc véritablement construire et organiser la réflexion. [...]
[...] Les exemples, même s' ils ne sont pas toujours accompagnés d' une réflexion clairement exprimée, donnent à voir différentes situations que le lecteur peut gloser lui-même. Ce qui pourrait être un manque de concrétisation des idées pour Montaigne serait un avantage pour le lecteur qui, n' étant pas fortement influencé par l' avis de l' auteur, aurait la possibilité de laisser libre cours à sa réflexion. Le caractère ouvert qui est conféré à l' œuvre par le biais de ce mode de construction la rend accessible et semble appeler les commentaires de la personne qui l' aborde. [...]
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