Charles Perrrault, avec le recueil des Contes de ma mère l'Oye ou Histoires et contes du temps passé publié en 1697, rassemble huit contes merveilleux issus de la tradition orale populaire. On observe que la famille, lieu de cette transmission orale de génération en génération, se trouve être au coeur des contes de Perrault, occupant une place centrale dans l'histoire des personnages. En effet les contes commencent toujours par une situation familiale initiale et se terminent en général par un mariage, la création d'une nouvelle famille. Charles Perrault y représente la famille dans toute sa complexité, avec ce qu'elle comporte d'amour et de violence, l'amour conjugal et les rapports conflictuels entre parents et enfants ou entre frères et soeurs étant des éléments centraux de la dynamique de ses contes.
On peut donc s'intéresser à la façon dont la famille, appartenant à la sphère privée, intime, se présente comme un espace universel aux possibilités infinies, notamment en ce qui concerne la représentation des rapports entre hommes et femmes, ce qui en fait un élément garant à la fois de la tradition et de la modernité du conte.
[...] En effet, la famille est omniprésente chez Perrault : elle apparaît dès l'ouverture des contes, ce qui permet de présenter le héros ou l'héroïne. Le folkloriste russe Vladimir Propp, dans son analyse de la structure des contes issus de la tradition populaire, remarque que le conte commence en général par l'énumération des membres de la famille du héros ou de l'héroïne. En effet, « Peau d'Âne » débute par l'évocation du bonheur conjugal du couple parental, entraînant la naissance de l'héroïne: « avec tant de vertus une fille était née ». Cendrillon, dès les premières lignes du conte, est présentée dans une situation familiale précise : son père s'étant remarié, elle doit cohabiter avec sa belle-mère hautaine dont elle subit la jalousie, ses deux demi-soeurs et un père absent car dominé par sa nouvelle épouse. Enfin, la première phrase de « La Belle au bois dormant » présente les futurs parents de la Belle et leur désir d'avoir un enfant : « Il y avait une fois un roi et une reine qui étaient si fâchés de ne point avoir d'enfant, si fâchés, qu'on ne saurait dire ».
[...] La dynamique du conte est en effet enclenchée par une perturbation ou un renversement de l'ordre familial. Ainsi, dans « La Belle au bois dormant », la mort de la Belle est annoncée alors que tout le monde s'est rassemblé pour célébrer sa naissance et lui accorder des dons ; puis dans la seconde partie la belle-mère veut dévorer sa belle-fille et ses petits-enfants, ce qui est une monstruosité contraire à l'ordre naturel, la dévoration des enfants et petits-enfants représentant l'inverse du rôle d'une mère, censée donner la vie et nourrir ses enfants. Dans « Cendrillon », les méchantes soeurs ont de belles chambres et de beaux lits alors que Cendrillon, vertueuse et généreuse, dort sur une « méchante paillasse ».
[...] Enfin les personnages affirment leur liberté par le mariage, par la création d'une nouvelle famille. Jean Perrot souligne ce bonheur et cette liberté acquis en réaction aux contraintes et aux violences familiales d'origine: «Ces couples merveilleux, ou supposés tels, que nous rencontrons dans les contes, et plutôt à la fin des récits, sont bien le fruit d'un mélange qui les fait exister à partir du pire, à savoir toutes ces situations de catastrophes familiales [...] ». Le mariage permet à Cendrillon de se libérer de la servitude, et à Peau d'Âne de se libérer de l'amour de son père. Il permet aussi au prince de Peau d'Âne de s'émanciper d'une mère qui l'étouffe presque d'amour (...)
[...] Enfin, le pervertissement de l'ordre naturel est total dans Peau d'Âne puisque le père veut épouser sa fille alors que l'inceste est un tabou universel La famille comme enjeu Mais à la famille initiale, dans laquelle naît le héros ou l'héroïne, succède une autre famille, celle qui se crée bien souvent à la fin du conte. En général, la représentation de ces deux familles n'excède pas deux générations, ce qui crée un effet de miroir. Les contes de Perrault se terminent en effet bien souvent par un mariage : Cendrillon épouse le prince qu'elle a rencontré au bal, Peau d'Âne le prince du royaume dans lequel elle s'est réfugiée incognito, et la Belle épouse le soirmême le prince venu la tirer de son long sommeil. [...]
[...] Enfin, la première phrase de La Belle au bois dormant présente les futurs parents de la Belle et leur désir d'avoir un enfant : Il y avait une fois un roi et une reine qui étaient si fâchés de ne point avoir d'enfant, si fâchés, qu'on ne saurait dire Catherine d'Humières, D'un conte à l'autre, d'une génération à l'autre, Presses Universitaires Blaise Pascal p Vladimir Propp, Morphology of the folktale vol University of Texas press pp.25- De plus, on remarque que les personnages sont toujours désignés par la place qu'ils occupent dans la famille, et que souvent ils n'ont pas de prénom. Dans Peau d'Âne il y a un père une mère une fille un prince et ses parents, mais aucun des personnage n'a de prénom. De même, les parents de la Belle ne sont pas nommés, pas plus que sa belle-mère ou son futur époux. [...]
[...] Perrault représente en effet la vie dans toute sa complexité et sa diversité, avec ses amours et ses violences, en mettant en scène aussi bien d'heureux mariages d'amour que des problèmes universels liés à la famille, comme la rivalité dans les fratries, le tabou de l'inceste et les conflits entre belle-mères et belles-filles. La famille est donc aussi bien un lieu d'amour et de protection, qu'un lieu de haine et de danger. Ainsi dans nos trois contes, l'amour conjugal final est sublimé. En effet, on assiste à trois mariages d'amour nés d'un coup de foudre réciproque, entre des jeunes gens beaux, riches et vertueux. [...]
[...] ] Le mariage permet à Cendrillon de se libérer de la servitude, et à Peau d'Âne de se libérer de l'amour de son père. Il permet aussi au prince de Peau d'Âne de s'émanciper d'une mère qui l'étouffe presque d'amour. En effet on lit la reine sa mère, qui n'a que lui d'enfant, pleure et se désespère et il aurait eu de l'or, tant l'aimait cette mère, s'il en avait voulu manger cette dernière phrase rappelant curieusement l'empressement du père de Peau d'Âne à tout donner à sa fille, notamment une robe brodée d'or et la peau de l'âne aux écus d'or. [...]
[...] Le champ lexical du bonheur, les superlatifs et la surenchère son aimable moitié, sa compagne fidèle ; il était encore avec elle moins heureux roi qu'heureux époux ; tendre et chaste hyménée ; pleine de douceurs et d'agrément ; tant de vertus ; je n'y songerais de ma vie ; amour véhément ; que magnificence utilisés pour décrire le bonheur idyllique et l'amour inconditionnel du roi pour son épouse interpellent le lecteur, qui commence à craindre que tout cela ne soit trop beau pour être vrai. Cette intuition se confirme rapidement: Et jamais un mari ne fit tant de vacarmes. A l'ouïr sangloter et les nuits et les jours, On jugea que son deuil ne lui durerait guère, Et qu'il pleurait ses défuntes amours, Comme un homme pressé qui veut sortir d'affaire. On ne se trompa point. [...]
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