Depuis ces vingt dernières années et la fin des avant-gardes, le sujet fait un retour inattendu sur la scène littéraire de langue française, et chacun de s'engouffrer dans la voie ouverte et défrichée par Roland Barthes avec son Roland Barthes par Roland Barthes (1975). Cette tentation autobiographique connaît deux vagues successives de livres d'importance
[...] A l'inverse de la proposition de Serge Doubrovsky, le temps de la narration devient le détour nécessaire pour accéder au temps de la vie. Les évènements vécus, trop réels, c'est-à-dire inacceptables et invivables ne peuvent se dire, s'écrire, sans le truchement et les détours de la fiction. Ainsi, Jean Rouaud ne cherche pas à raconter la vie, la sienne, sur un mode original pimenté de la mention autobiographique Non, il s'essaye à dire, par le seul moyen qu'il ait en sa possession : l'écriture romanesque, l'indicible souffrance de la vie pour parvenir, non pas à préférer l'écriture au chagrin, ou à la douleur oppressante telle qu'elle se lit dans Les Champs d'honneur, mais la vie à l'écriture (Jean Rouaud). [...]
[...] Dans Pour vos cadeaux, Jean Rouaud revient sur les difficultés de réception de ses romans par sa mère : Un exemple : vous écrivez sur votre père dont la mort prématurée vous oblige à reconstituer la haute figure des morceaux qui, semble-t-il, auront du mal à s'assembler. D'un côté, vous avez gardé le souvenir d'un homme autoritaire qui vous faisait un peu peur et, de l'autre, tous les témoignages après sa disparition vous renvoient l'image d'un camarade chaleureux, drôle, généreux, inventif, qui paraît avoir vivement impressionné ses contemporains. Lui, un drôle? Vous voulez rire. [...]
[...] Le narrateur peut alors se présenter, s'affirmer comme un mémorialiste plus que comme un autobiographe. C'est ainsi que le narrateur se revendique, comme celui qui témoigne : Comme le lendemain 27 décembre est la Saint-Jean l'Evangéliste, il n'oublie pas en vous embrassant de vous souhaiter votre fête. Il vous fait un peu peur cet homme, bien qu'il n'ait jamais porté la main sur vous, mais son autorité en impose et vous cloue souvent le bec, alors quelle tête ferez- vous quand vous apprendrez, des années plus tard, qu'il vous a donné ce prénom-là, fêté à cette date-là, parce que c'est celui que portait le disciple bien-aimé? [...]
[...] On retrouve le même principe chez George Perec, autre exemple d'écriture qui se construit sur la douleur, l'absence d'êtres chers, la disparition et le vouloir-vivre qui recrée par la fiction le temps ou la généalogie manquante comme le montre cette anecdote relevée dans Barthes après Barthes (actes du colloque international de Pau, Editions des Publications de l'université de Pau, 1993) : Quand on faisait remarquer à George Perec que certains de ses me souviens” étaient inexacts, il éclatait de rire : je ne dis pas que ce dont je me souviens est vrai, je dis que c'est ce dont je me souviens” Rouaud Jean, Jean Rouaud, l'enfant prodige a survécu au prix Goncourt! L'Evènement du jeudi au 8 septembre 1993, interview de André Clavel. Rouaud Jean, “Fermez la parentèle”, idem. id. [...]
[...] L'autofiction croît ainsi dans cet espace sans limites et comme indéterminé de la littérature moderne (Gérard Genette). Elle s'annonce comme une mise en mots de l'expérience vécue (le temps de la vie deviendrait temps de la narration) privilégiant le travail du style et les jeux d'écriture, et cette notion n'est pensable qu'avec la connaissance méticuleuse de la notion de pacte autobiographique telle que l'a énoncé Philippe Lejeune. Si Jean Rouaud reconnaît volontiers que tous [s]es livres sont des autoportraits à différents moments de son évolution il martèle sans cesse que le roman est le genre qui lui convient le mieux pour la liberté totale[8] qu'il lui offre, faisant sienne la définition de Marthe Robert : [ ] le roman est sans règles ni frein, ouvert à tous les possibles, en quelque sorte indéfini de tous côtés Le romanesque est là pour dire la vérité, du moins une vérité, celle du vécu, de l'émotion, sans doute plus juste qu'une vérité factuelle, authentifiée : Quand j'ai commencé le chapitre sur la mort de mon père, j'ai éprouvé la nécessité d'introduire une tempête, puis une panne de courant : ça ne correspond pas à la réalité, mais, en écrivant, je voyais la scène de cette façon-là. [...]
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