Le sens commun valorise l'expérience : il oppose à la théorie abstraite, détachée du réel, l'expérience concrète, vécue. Celle-ci serait donc la seule source d'un enseignement véritable : aux mots vides, elle substituerait le contact plein et immédiat avec la réalité. Quelle distance par exemple entre ce que les livres disent de l'amour ou de la souffrance, et l'expérience même de ces situations! Toutefois, cet enseignement est-il, à proprement parler, « reçu » de l'expérience? Suffit-il de tendre l'oreille pour entendre les leçons de l'expérience? L'expérience est-elle à ce point « parlante »? N'est-ce pas plutôt à nous qu'il appartient de « tirer » des leçons de l'expérience? L'expérience n'enseigne qu'à celui qui sait l'interpréter. Nous sommes dès lors placés devant un paradoxe : l'esprit devrait sa richesse à l'expérience, mais en retour, l'expérience ne devient enrichissante que par l'apport de l'esprit. C'est ce paradoxe que nous devons approfondir.
[...] Analysons un premier exemple de cette valorisation de l'expérience. On dira d'un homme qui a de l'expérience dans un certain domaine, qu'il est supérieur à celui qui n'en a pas. L'expérience lui apporte quelque chose qu'il ne pouvait acquérir autrement. Dans cet exemple, l'expérience désigne la pratique : à force de s'exercer à une activité, on obtient une maîtrise qui ne pourrait nous venir par aucune autre voie. L'expérience est donc le seul maître qui enseigne le savoir- faire. En effet, on peut connaître parfaitement une chose par exemple la technique du saut en hauteur et être incapable de la réaliser. [...]
[...] Pour parler d'enseignement, il n'est pas suffisant de nommer les faits, il faut encore les mettre en relation, en dégager des lois. Cette nouvelle étape est opérée par les sciences. Or, nous allons découvrir que l'expérience scientifique suppose aussi l'activité de la pensée. L'expérience joue un rôle capital dans les sciences. Une théorie scientifique ne sera vraie que si elle est confirmée par des expériences. On peut même voir, dans l'existence de ce contrôle expérimental, ce qui caractérise le discours scientifique. [...]
[...] II n'y a donc de réel que bâti suivant les attentes fondamentales de notre esprit. Cependant, cette forme est par elle-même vide et ne fait rien connaître. C'est pourquoi elle doit s'appliquer à un donné. Cela s'éclairera par l'exemple des sciences analysées à un niveau plus profond que dans la seconde partie. Tout d'abord, les sciences dépendent de l'expérience. Comme l'a montré Hume dans l'Enquête sur l'entendement humain, si nous faisons abstraction de l'expérience, nous ne pouvons pas deviner a priori quel sera le comportement d'une bille qu'on lâche sur un plan incliné. [...]
[...] Bref, si l'expérience doit enseigner quelque chose, encore faut-il qu'elle trouve quelqu'un à qui enseigner. L'esprit qui doit la recevoir ne peut être lui-même produit par elle. L'esprit doit précéder l'expérience. Nous verrons le signe de cette antériorité dans la possibilité d'une connaissance a priori. A priori, s'oppose, dans le langage de Kant, à empirique et désigne ce qui ne peut être déduit de l'expérience. Nous sommes alors en mesure de mettre en question le second présupposé de l'empirisme du sens commun. [...]
[...] Si l'objet dont nous faisons l'expérience existe hors de nous, nous dirons qu'il y a perception de cet objet au moyen des sens. Si l'expérience porte sur un état intérieur, nous parlerons de sentiment. Sentiment et perception sont les deux voies par lesquelles l'esprit se trouve mis en présence d'une réalité qu'il reçoit et qui, à ce titre, ne dépend pas de lui. Ainsi, dans l'expérience, l'esprit est en position de récepteur. Cette passivité est une dimension fondamentale de l'expérience. [...]
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