La tragédie classique, qui nous semble aujourd'hui clairement définie ne s'est pas imposée telle quelle dans l'art du XVIIème siècle. En effet, à la veille du Cid, on assiste à toute une floraison de tragédies qui sont en réaction avec la tendance tragi-comique précédente. Cette transformation correspond à la réapparition des règles avec Maigret. A sa suite, de nombreux théoriciens vont tenter d'imposer des règles comme Le Chapelain ou l'abbé d'Aubignac. D'une manière générale, le débat sur l'art théâtral est amorcé et va par la suite s'imposer avec force; les nombreuses querelles au sujet des pièces de Corneille par exemple en sont un témoignage exemplaire. Mais aucun auteur dramatique n'a approfondi l'essence de son art et médité sur les problèmes qu'il pose avec plus de rigueur et de scrupules que Corneille. Il expose une partie de son système dramatique dans son Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique dans lequel il définit la dignité de la tragédie: « Sa dignité demande quelque grand intérêt d'Etat ou quelque passion plu noble et plus mâle que l'amour, telles que sont l'ambition ou la vengeance et veut donner à craindre des malheurs plus grands que la perte d'une maîtresse. » Il est intéressant d'analyser l'enjeu que pose une telle définition de la dignité de ce genre dans trois oeuvres en particulier: Rodogune, la pièce que Corneille lui même qualifiait de parfaite, Oedipe, pièce qui signe le retour au théâtre de Corneille après l'échec de Pertharite et Tite et Bérénice, la seconde comédie héroïque de Corneille. Pour ce faire, nous analyserons de quelle manière s'illustre cette définition et jusqu'à quel point pour montrer les nuances qu'il faut lui apporter puisqu'on ne peut négliger l'importance d'autres passions. Enfin nous nous interrogerons sur la notion même de grandeur qui a une très grande importance dans les trois pièces étudiées.
[...] Tandis que pour l'ambition ou la vengeance, le rang des personnages qui l'éprouvent leur donne sans doute une dimension plus grande car ces derniers ont les moyens de mettre en place leur réalisation complètes. Dans les trois pièces, on trouve des traces plus ou moins flagrantes de ces deux passions nobles décrites par Corneille. Il est intéressant de remarquer que l'ambition, passion mâle est incarnée dans les trois pièces par des femmes principalement : Cléopâtre bien entendu dans Rodogune, Dircé dans Œdipe et Domitie dans Tite et Bérénice (Et malgré cet amour, je ne puis m'arrêter / Qu' (au degré le plus haut où je puisse monter (v.73-74). [...]
[...] Elle ne le fait pour elle, mais elle tient à assurer la sécurité, l'autorité incontestée et la gloire de celui qu'elle aime. Néanmoins, on se rend compte que, dans Œdipe et Tite et Bérénice, l'amour est plus explicitement mis en opposition avec le devoir : Dircé et Thésée sont partagés entre le fait de mourir par amour et de vivre par devoir et Jocaste est aux prises aussi entre son amour pour Œdipe et son devoir : «L'assassin de Laïus doit me blesser la vue ; / Et malgré ce courroux par sa mort allumé, / Je sens qu'Œdipe enfin sera toujours aimé (v.1602 à 1604). [...]
[...] Ici, la tension ne touche pas tant l'action elle même que les modalités de l'action. L'accent est mis sur la manière dont Oedipe découvre petit à petit qui il est. Ainsi, il découvre tout d'abord qu'il est l'auteur du régicide: Après avoir choisi ma main pour ce grand crime, (v. 1581) puis qu'il est thébain: Je serais donc thébain à ce compte? / Oui, seigneur (v.1735). Même la découverte du parricide et de l'inceste est ménagée puisqu'ils ne sont pas annoncés en même temps : Je ne vois que le roi. [...]
[...] Quel est le véritable rôle de ce celui- ci ? A première vue, il semblerait en effet que le devoir et l'honneur triomphent de l'amour mais quand on y regarde d'un peu plus près, on se rend compte que l'amour subsiste malgré tout. Jocaste ne cesse pas d'aimer Œdipe quand elle le quitte par exemple (voir le vers 1604 cité plus haut). C'est encore plus flagrant dans Tite et Bérénice : ces deux amants ne cessent jamais de s'aimer quand ils se séparent : C'est à force d'amour que je m'arrache au vôtre (v.1731) ; Et ce que mon amour doit à l'excès du vôtre / Ne deviendra jamais le partage d'une autre. [...]
[...] Cette passion, qui, dans Rodogune accompagne l'ambition est en revanche centrale dans Œdipe. Dans cette œuvre, elle est de deux ordres : humaine et divine Pour apaiser du Ciel l'implacable vengeance (v.570). La vengeance divine supplée en quelque sorte à la vengeance humaine qui a fait défaut pour le meurtre de Laïus. Encore une fois cette passion joue un rôle très important car c'est elle qui est le nœud de la tragédie. Ainsi, on se rend compte que ces passions mâles et nobles sont l'apanage de personnages féminins et qu'elles donnent à la tragédie ses lettres de noblesses puisque non seulement elles sont à l'origine même du mécanisme tragique mais elles l'amplifient aussi, de part leur caractère emporté. [...]
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