Selon le théoricien du mouvement futuriste italien Marinetti, "il n'y a pas d'art dramatique sans poésie c'est-à-dire sans ivresse et sans synthèse". On comprend que pour lui, le théâtre ne peut se résoudre à une simple représentation, à un exposé de faits, mais est porteur de bien plus de sens et de profondeur: nul autre domaine de la littérature peut-être n'est capable de créer cette exacerbation des sentiments, ce bouleversement du psychisme à travers le lien si particulier qu'entretiennent le lecteur/spectateur, l'auteur et l'acteur. Cette "magie" du théâtre tient donc selon Marinetti à la part spécifiquement poétique (et même poïétique, dans son sens premier, c'est-à-dire créateur) de cet art, et qui a dès l'origine grecque été clairement perçue par les dramaturges (ce n'est pas un hasard si Aristote intitule Poétique son traité exposant ses théories sur la tragédie). Ceux-ci ont, au cours des siècles, tenté de l'exprimer différemment suivant leur sensibilité et l'importance alors accordée à la dimension poétique. Ce cheminement s'est manifesté à travers diverses interrogations, et notamment celle du choix entre le vers et la prose, particulièrement aux époques classiques et romantiques.
Mais ainsi que l'affirme le poète et dramaturge T.S Eliot, qui a toujours milité pour un théâtre poétique, dans une de ses conférences, la différence est-elle si grande entre les deux formes? N'est-ce pas là qu'un vain questionnement théorique?
En effet, prose et vers ne sont selon lui que deux moyens au théâtre, et la langue dans chaque cas est tout aussi "éloignée de la syntaxe et du rythme de notre conversation ordinaire". Tout ceci, en posant la question de l'importance de la forme et de son adéquation plus ou moins fantasmée avec la réalité nous invite à nous interroger sur sa légitimité même: a-t-elle toujours véritablement une raison d'être?
[...] C'est d'ailleurs bien là cette spécificité du théâtre, et l'apanage des plus grandes pièces qui traversent les âges: réussir à créer un lien impalpable, indicible mais presque fusionnel avec le spectateur. Et peu importe alors la forme du discours choisie, puisque vers comme prose vont s'adapter à l'orientation choisie par l'auteur, afin de créer un certain effet. Ainsi, on a vu que le vers pouvait servir à atteindre une sorte de paroxysme des émotions mais la prose y parvient tout aussi bien. [...]
[...] Il apparaît pourtant que si la prose semble être un outil privilégié d'un théâtre ancré dans une réalité contemporaine, un théâtre qui serait une sorte de photographie (le miroir de la société cher aux romantiques), ce théâtre ne serait plus alors qu'un simple théâtre de la présentation et non de la représentation. Le vers quant à lui semble correspondre parfaitement à ce théâtre qui représente et qui par là même ne cherche pas à cacher ses conventions ou un certain éloignement face à la réalité. [...]
[...] Dans ce théâtre de l'écrit, la pièce est donc avant tout un texte, et plus précisément un poème, au sens ou l'entend Tzvetan Todorov dans la Notion de Littérature: le poème est pour lui une unité, stylistique et syntaxique, qui forme un tout. Tout dans le texte concourt à créer une certaine impression d'ensemble, tout y travaille esthétiquement, bref, tout se tient. Le poème forme dès lors un univers complexe et extrêmement organisé de relations entre ses divers éléments. On comprend dès lors que cette définition, si elle s'applique à l'origine au poème traditionnel correspond également parfaitement à l'art dramatique, chaque pièce manifestant une identité et une unité extrêmement fortes. [...]
[...] D'autres font également le constat de cette impuissance du langage, ainsi que l'affirme Léon Daudet dans le Rêve éveillé: "Très vite nous atteignons le bout des mots ( . ) le plus important, le plus intéressant fuit entre les mailles du vol comme l'eau fuit entre les doigts". De nouveaux langages vont donc être mis à jour, gestuels symboliques, musicaux, etc. Tous ayant en commun de vouloir utiliser l'espace afin de réconcilier dans le mouvement le temps et l'espace, de rendre le texte vivant. [...]
[...] Le texte devient pour l'acteur une nourriture, un corps". [...]
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