Pierre Louys, dès le titre de son roman La Femme et le Pantin, attribue à son personnage féminin un pouvoir de manipulation quasi absolu. Au contraire, des titres comme La Princesse de Clèves, La Religieuse ou Madame Bovary dessinent autour du personnage féminin un contexte social qui pèsera dans le déroulement de l'intrigue. S'il est facile de dire que les personnages féminins jouent un rôle important dans les romans, il est moins aisé de dégager une image de ces femmes qui traversent ou hantent nos univers romanesques.
Les écrivains ont toujours célébré la beauté de la femme et son pouvoir de séduction; aussi pourrons-nous tout d'abord analyser l'image de la femme en lien avec le sentiment amoureux. Puis nous verrons comment les romanciers représentent la femme dans son contexte social et familial. Enfin, nous devrons nous interroger sur la spécificité du personnage féminin dans les romans.
[...] Dans Germinal, une scène pathétique met en présence deux mères, la Maheude qui vient, accompagnée de deux de ses petits, glacés, affamés mendier du pain aux Grégoires, les patrons de la mine, et Madame Grégoire, la mère de Cécile. Ce face à face des deux mères dessine l'écart entre la misère ouvrière et la richesse des propriétaires de la mine, et donne à la Maheude toute sa force symbolique. Dans un autre domaine, l'opposition entre la Présidente et La Merteuil dans Les Liaisons dangereuses contribue à créer la tension de l'intrigue romanesque. [...]
[...] Il en va de même pour le personnage éponyme du roman de Virginia Woolf: Mrs Dalloway (1925). Comme déchirée entre sa vocation littéraire à être l'objet idéal d'un désir et les contingences de son statut qui la voue à assurer la pérennité sociale et familiale, le personnage féminin, à la différence du personnage romanesque masculin, acquiert une force et un relief qui suffisent à polariser les lignes de force d'une intrigue. Un jeu de miroirs On l'a vu à propos du roman de Flaubert, Madame de Bovary, plusieurs images féminines se croisent et ce jeu de miroirs truqués contribue à donne tout son relief au personnage central et toute sa tension à l'intrigue. [...]
[...] Cette femme idéale est devenue une sorte de topos de la littérature romanesque. On peut évoquer, bien sûr, La Princesse de Clèves (1678) de Madame de La Fayette. Mais cette beauté parfaite n'est pas l'apanage du roman précieux; on la retrouve dans des genres ou registres aussi variés que le Vandenesse (Le Lys dans la vallée, 1836) rencontre lors d'un bal Madame de Mortsauf dont la beauté l'éblouit: la peau satinée le brillant des cheveux un cou velouté L'héroïne du Capitaine Fracasse (1863) apparaît plus modeste, mais Théophile Gautier n'en insiste pas moins sur la beauté de son ingénue: le visage mignon de beaux cheveux d'un châtain soyeux l'œil voilé par de longs cils Le roman contemporain ne s'est pas affranchi de cet archétype de la littérature et l'on voit Julien Gracq, dans Le Rivage des Syrtes (1951), imaginer une femme à la beauté inaccessible, Vanessa, à la frontière du réel et d'un monde onirique qui prend ses racines dans l'imaginaire surréaliste. [...]
[...] Mais n'évoque- t-il pas aussi la mère de Charles qui, assoiffée de promotion sociale, a tracé de manière autoritaire le chemin de son fils dans l'existence? Ou bien s'agit-il de la première femme de Charles, celle qui justement a été choisie par la mère pour, en somme, assurer la relève de l'autorité? Emme vient après ces deux femmes, ces deux images d'épouse et de mère, conformes aux attentes de la société tant leur ambition est proche finalement de celle du pharmacien Homais, qui sera décoré à la fin du roman. [...]
[...] Que le roman soit né dans une société qui se plissait en définissant un code amoureux et sacralisant la femme, explique sans doute en partie la première image que nous avons de ces femmes de papier, héroïnes fatales, inaccessibles, dont la beauté polarise toute quête, femme coupable d'user de leur charme pour dominer les hommes, ou femme victimes d'une innocente séduction qui appelle en réponse la violence. Mais le récit en langue romane est également né loin des arts nobles, au cœur du réel. [...]
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