Écriture fictive à la manière d'un écrivain, Alain Robbe-Grillet, La Jalousie, 1957, tromperie, agonie, liaison maritale, vertu, malheur, romance, sentiment d'injustice, frustration
Je n'arrive pas y croire. Sur le battant gauche, ouvert, de la première fenêtre de la salle à manger, précisément au centre du carreau médian, je vois l'image réfléchie de la voiture bleue qui vient juste de s'arrêter au milieu de la cour. A... et Franck en descendent en même temps, lui d'un côté et elle de l'autre, par les deux portières avant. A... tient à la main un paquet de très petite taille, sûrement un cadeau de son amant. Je ne peux pas vraiment en distinguer sa forme, car il s'efface quelquefois totalement, absorbé par un défaut du verre.
[...] Écriture fictive à la manière d'un écrivain : Alain Robbe-Grillet, La Jalousie (1957) I. Tromperie Je n'arrive pas y croire. Sur le battant gauche, ouvert, de la première fenêtre de la salle à manger, précisément au centre du carreau médian, je vois l'image réfléchie de la voiture bleue qui vient juste de s'arrêter au milieu de la cour. A. et Franck en descendent en même temps, lui d'un côté et elle de l'autre, par les deux portières avant. A. tient à la main un paquet de très petite taille, sûrement un cadeau de son amant. [...]
[...] Me cacher ? Fuir ? La honte qui m'envahit m'y oblige . Ou plutôt descendre ? Lui faire des reproches cinglants ? Je ne peux me décider. Ce dilemme me hante, entre mon honneur ou mon amour, je ne sais lequel choisir. Mais j'ai cette l'impression que la porte d'entrée ne s'est pas refermée ; Franck n'est pas reparti. Je me demande alors ce que peuvent bien faire ces deux-là, pour faire durer la conversation. Je tends alors l'oreille, en m'efforçant de garder mon sang-froid. [...]
[...] N'avais-je pas mérité son cœur ? Ou était-ce qu'elle ne me respectait pas ? Après tout, il ne lui suffisait pas de me faire subir la peine de son comportement volage, il fallait qu'elle le fasse entrer chez nous. J'ouvre alors la porte afin de pouvoir les entendre de façon audible, en vain. J'entends seulement ma femme parler . à un homme. Soudain, Franck prend la parole. Sa voix, plus grave, a une portée qui arrive distinctement à mes oreilles. Je suis bizarrement pris d'effroi. [...]
[...] Je ne peux penser à rien d'autre, je me passe la scène imaginée de leur discussion en boucle dans ma tête. J'essaye de me calmer, mais je n'y arrive pas . J'étouffe. Il faut cependant que je me reprenne en main. Je me calme enfin, mais mes émotions négatives demeurent. La tristesse m'envahit à présent, ainsi qu'un goût amer de frustration. De rage, je me lève pour chasser ces deux créatures. J'ouvre la porte, prêt à chasser ces mal venus. Je traverse le couloir, me dirigeant vers l'escalier. [...]
[...] Je referme alors la porte et m'en éloigne le plus loin possible. Comment était-ce possible ? me dis-je. Ma femme, mon épouse vertueuse, m'aurait-elle trompé ? Comment est-ce possible qu'elle reste avec ce Franck ? La première fois qu'elle me l'avait présenté, je m'étais bien dit que c'était une mauvaise idée. Cet homme, qu'elle avait rencontré à l'église et qui lui avait demandé l'aumône il y a trois ans ; ce pauvre homme, que j'avais aidé, pour elle, à monter dans la société, j'aurais dû me douter de la supercherie et à l'époque, le chasser. [...]
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