Ecart du langage, corps, essai, Maurice Merleau-Ponty, phénoménologie de la perception, épochè phénoménologique, rapport au monde, existence humaine, réalité objective, idéalisme transcendantal, langage corporel, paradoxe de l'eros, intersubjectivité, ontologie de la chair, intercorporéité
Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) a développé tout au long de sa vie une phénoménologie de la perception. D'abord influencé par le précurseur de la phénoménologie allemande Edmund Husserl, il s'en distinguera par la suite, notamment par le biais de ses analyses concernant le corps et le langage. Le propre de la phénoménologie telle que théorisée par Husserl est une opération : celle de la réduction, ou, pour reprendre les termes husserliens, l'épochè phénoménologique. Cela renvoie à la nécessité de sortir de l'attitude naturelle, cette attitude qui nous pousse à croire que les choses sont au monde comme elles sont, sans que nous n'y jouions aucun rôle : la phénoménologie nous montre au contraire que les choses sont là parce que nous les percevons.
Comme le rappellera Merleau-Ponty, la phénoménologie n'est jamais explicative ou analytique, elle est descriptive : elle consiste à dire que ce qui fait le monde, ce n'est rien d'autre que notre rapport au monde, c'est-à-dire notre vécu dans le monde. Sans l'analyser, elle désigne l'attention que je porte sur mon rapport aux choses plutôt que sur les choses. La réduction ou épochè consiste ainsi à mettre entre parenthèses l'objectivité du monde, pour revenir aux actes de conscience par lesquels nous percevons ce monde. La phénoménologie au sens husserlien répond donc à deux grands mots d'ordre : d'une part, elle consiste en un retour aux choses mêmes, telles qu'elles sont, et d'autre part, elle répond à l'idée que toute conscience est toujours conscience de quelque chose. Ainsi, dans la phénoménologie, ce n'est pas la chose en elle-même qui importe, mais bien le vécu personnel que j'entretiens avec cette chose.
[...] Par ailleurs, le langage témoigne des insuffisances qui caractérisent le corps et permet de les compenser. En ce sens, langage et corps sont toujours complémentaires, et leurs fonctions conjointes permettent à notre conscience de constituer autrui. Nous l'avons vu, la parole est avant tout un phénomène, c'est-à-dire une manifestation parmi d'autres du corps. Le langage est un réservoir commun qui permet de créer du lien avec autrui. Cependant, chaque mot dépend de l'interprétation subjective de l'interlocuteur. Ainsi le langage se transmet toujours de manière déformée, il y a un décalage fondamental entre ma pensée, son expression, et la réception de cette expression. [...]
[...] Nous habitons un corps qui vit sans nous. Ce paradoxe dans la notion de corps lui confère un statut particulier, car il est conçu non seulement comme ce qui nous distingue des objets sans vie, mais aussi comme ce qui nous empêche de n'être rien d'autre qu'une entité spirituelle. Le corps nous constitue, mais il nous échappe. Avec cette idée, Merleau-Ponty opère donc une rupture avec la philosophie cartésienne qui suppose une juxtaposition entre l'âme et le corps, empêchant leur adéquation. [...]
[...] La parole est un être expressif lié au monde vécu. Le langage en tant qu'il est déjà une fin en soi se révèle dans le fait qu'il arrive fréquemment que nous parlions pour ne rien dire, ou parfois même que nous découvrions le sens de ce que nous voulions dire au moment où nous l'exprimons. Merleau- Ponty entretient donc un rapport particulier avec la notion de langage, car chez lui la parole précède le sens. Cela signifie qu'il existe un lieu où le sens est déjà formé antérieurement à l'acte de signification langagier de la conscience rationnelle : il existe une manière d'être de la signification qui se trouve déjà dans tout acte d'expression. [...]
[...] La notion de corps langagier ou de langage corporel Au nombre des évidences impossibles à révoquer chez Merleau-Ponty, il y a que nous sommes au monde par notre corps. Le corps et le monde s'impliquent l'un et l'autre, dans une origine commune. Avant même de penser le monde, nous habitons ce monde corporellement. Une telle conception du corps a de multiples conséquences ontologiques, notamment sur le langage. La structure du corps, qu'elle soit implicite ou explicite, est présente dans toutes les analyses merleau-pontiennes sur le monde vécu dans Phénoménologie de la perception, en tant que structure originaire et condition de possibilité du sens et de la signification en général. [...]
[...] Ce décalage inhérent à la parole a permis le développement chez Merleau- Ponty d'un modèle de relation à l'autre spécifique. En effet, pour l'auteur l'autre n'est jamais de l'ordre de la transparence. Cette opacité du langage rejoint l'opacité d'autrui. Nous vivons parfois dans l'idéal de la transparence d'autrui, mais il faut se rendre à l'évidence : le rapport à l'autre souffre toujours d'un manque, qui est dû à cette béance propre à la subjectivité de l'expression comme acte du corps. L'autre ne m'est jamais totalement accessible, justement parce qu'il n'est pas moi. [...]
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