Tout au long de son oeuvre, Marguerite Duras n'a cessé de mettre en scène sa fascination pour le sexe féminin. Pythique et radicale, « écrivain sauvage » comme elle a pu l'être dans l'affaire Villemain - on se souvient du célèbre article « Sublime, forcément sublime Christine V. » dans lequel elle mêlait l'accusation d'infanticide maternelle à l'exaltation d'un certain tragique du féminin - Duras entretient des rapports ambigus avec les problématiques identitaires, sociales et culturelles liées à la question de la figure féminine.
Si la plupart de ses romans sont hantés par des héroïnes désincarnées qu'elle revendiquent comme étant partiellement autobiographique (de la jeune Maud des Impudents à la Thérèse résistante qui torture un « donneur de juifs » au sortir de la Seconde Guerre Mondiale dans Albert des Capitales ), c'est à partir des années 1980, période ou son oeuvre s'est ouverte de manière plus frontale à la pratique de l'autobiographie, que Duras s'est mise à parler en tant que « prisme » de la Femme (...)
[...] On pourrait imaginer que Duras est vu en elle une sorte de rebelion ultime (mais non moins immorale), à la limite du modèle antique, où la mère n'a pas d'autre choix que de supprimer son enfant. Les exemples de l'ambigüité de la position féministe durassien sont nombreux. Pour n'en évoquer qu'un on peut se souvenir que Duras était réservé quant à la loi sur l'avortement alors qu'elle avait signé le fameux manifeste des 343 salopes. Marguerite Duras, La Couleur des mots. Entretiens avec Dominique Noguez. [...]
[...] Embarqué dans ce mouvement générationnel, elle avait par exemple donné certain de ses textes à la revue Sorcière, signé un papier élogieux, intitulé Une œuvre éclatante sur Monique Wittig dans France- Observateur, elle fréquenté Michèle Manceaux En quelques décennies sa parole s'est donc faite plus ambigue, fluctuante, comme le notais dans le texte qui ouvre La Vie matérielle: Aucun des textes n'est exhaustif. Aucun ne reflète ce que je pense en général du sujet abordé parce que je ne pense rien en général [ ] Le livre représente tout au plus que ce que je pense certaine fois, certains jours, de certaines choses. Donc il représente aussi ce que je pense. Je ne porte pas en moi la dalle de la pensée totalitaire, je veux dire : définitive. J'ai évité cette plaie[11]. [...]
[...] Des faux livres, des faux romans. La femme seule est capable de faire ce qu'on appelle une œuvre. Lorsqu'en 1975 elle publie Les Parleuses, série de cinq entretiens avec Xavière Gauthier, Marguerite Duras désire livrer l'œuvre avec ses redites, ses blancs, ses lapsus, ses chevauchements caractérisant le livre de non-écrit synonyme d'une parole libre gardée telle qu'elle avait été dite sans ordre extérieur à la parole qui ne serait que censure. Elle s'opposerait alors, par cette parole mouvante à la parole convaincue et structurée qu'ont habituellement les hommes, c'est-à-dire parler pour avoir raison[7]. [...]
[...] Poussant sa logique jusqu'au bout, elle établie même le critère féminin comme critère littéraire : L'homme qui n'a pas connu de femmes, qui n'a jamais touché le corps d'une femme, qui n'a peut-être jamais lu des livres de femmes, des poèmes écrits par des femmes et qui croit cependant avoir fait une carrière littéraire, il se trompe. On ne peut pas ignorer une donnée pareille et être un maître à penser[9]. Dans ce même livre, comme dans Les Parleuses, Duras pratique l'observation généralisante. Conçue de remarques diverses sur l'existence, le sexuel, les scènes matrices de l'œuvre durassienne, ils permettent de mieux connaître les pensées de l'auteur et ses démarches intellectuelles, politiques et poétiques et, en l'occurrence, idéologique par le prisme du féminisme. [...]
[...] Le deuxième chapitre s'ouvre par exemple sur les modalités de l'entretien d'une maison, la fonction nourricière de la femme qui y reste seule la journée, et Dura va même jusqu'à retranscrire sa liste de course avant de passer du coté de la description de la condition féminine : Je crois, fondamentalement, que la situation de la femme, je le dis d'une façon incidente, n'a pas changé. La femme se charge de toute dans la maison même si elle est aidée à le faire même si elle est beaucoup plus avertie, beaucoup plus intelligente, beaucoup plus audacieuse qu'avant. Même si elle a beaucoup plus confiance en elle maintenant. Même si elle écrit beaucoup plus, la femme eu égard à l'homme, n'est pas changée. Son aspiration essentielle est encore de garder la famille, de l'entretenir[10]. [...]
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