La Double Inconstance acte I scène 12, Marivaux (1723), mise en spectacle de la parole, manipulation des émotions, commedia dell'arte, comédiens du roi, Comédie-Française, satire, oeuvre théâtrale, Arlequin, dramaturgie, comédie, scène de dialogue, faux-semblants, champ lexical, théâtre italien, grotesque, commentaire de texte
En 1723 existent à Paris trois théâtres officiels subventionnés : l'Opéra, le Théâtre-Français ou Comédie-Française et le nouveau Théâtre-Italien. En réalité depuis la fin du XVIe siècle sont installés dans la capitale des acteurs italiens, important en France les principes de la commedia dell'arte, des pièces à canevas et des types fixes. Louis XIV les promeut "Comédiens du Roi" au siècle suivant. Mais leur grande liberté de ton et de geste et leurs traits satiriques suscitent la jalousie des Comédiens-Français ou encore l'austérité de Mme de Maintenon, sujette à des critiques acerbes ayant probablement donné lieu à une oeuvre théâtrale la conspuant.
[...] Ainsi, la mise en scène de ces retrouvailles donne lieu à une conversation émouvante entre deux naïfs personnages qui se lamentent de leur sort. Mais les effusions amoureuses qui s'opèrent sont exprimées à travers des maladresses et des cocasseries involontaires, laissant place à une opposition comique de ce duo amoureux. II. Caractères et personnalités grotesques Ce contraste absurde et grotesque se joue au niveau des caractères et des personnalités. Arlequin, symbole burlesque du Théâtre-Italien, n'est plus seulement le stéréotype du bouffon farcesque, car Marivaux l'intègre parfaitement à son analyse des métamorphoses de l'amour et lui attribue des qualités du héros- amant : (ligne 12) « Petit cœur, est-ce que je m'accoutumerais à être malheureux ? » Cette question rhétorique atteste de la sincérité de ses sentiments. [...]
[...] Lamentables et dolents, leur complainte démontre déjà leur psychologie fragile, comme le suggèrent les lignes 5 et 6 : « Oui, mais notre amitié, que deviendra-t-elle ? Cela m'inquiète. Hélas m'amour, je vous dis de prendre patience, mais je n'ai pas plus de courage que vous. » La poésie innocente de Silvia transparaît dans ses tergiversations exprimées dans des anaphores de rythme ternaire : (lignes 9 à 11) « J'ai peur de vous perdre ; j'ai peur qu'on ne vous fasse quelque mal par méchanceté de jalousie ; j'ai peur que vous ne soyez trop longtemps sans me voir, et que vous ne vous y accoutumiez. » La peur constante qui accable la jeune femme souligne le caractère extrêmement paradoxal et ambigu du rapport à l'amour entretenu par le couple. [...]
[...] La double fonction du langage La double fonction du langage, en tant que miroir de l'inconstance et masque des vérités troublantes, démontre que ce sont les paroles qui font la trame de l'action dramatique. Le langage semble être le véritable acteur de la comédie marivaudienne. Ainsi, la présence de tournures impersonnelles reflète l'inconstance au sein du couple : (ligne 28) « Il n'y a qu'à rester comme nous sommes [ ] » ; (ligne 35) « Il n'y aura qu'à ne pas songer que nous pâtissons. » L'absence de serment, mais les promesses prônées par les deux jeunes gens, ou encore le refus du chagrin, mais la nécessité d'éprouver de la souffrance pour connaître le bonheur sont autant d'antithèses que de constats sur l'irrésolution ambiante. [...]
[...] La construction pronominale réfléchie « que vous ne vous y accoutumiez » conçoit de manière hypothétique la rupture du couple, et incrimine implicitement le jeune Arlequin. Par conséquent, cette quatrième réplique justifie cette double fonction du langage : d'un côté, il est le code dont les personnages se servent pour s'adonner aux badineries, mais d'un autre côté il se définit paradoxalement un moyen de travestir la vérité, laquelle représentera plus tard l'inconstance dans l'œuvre théâtrale de Marivaux. [...]
[...] Cette phrase parodie le langage de la préciosité. En sa qualité de « garçon d'honneur » (ligne Arlequin adopte des valeurs chevaleresques qui, toutefois, ne correspondent pas à son rang social. Car l'Arlequin truculent de la commedia dell'arte n'a pas perdu sa vivacité : (ligne 15) « Hi Hi Hi Hi ». Ce cri grotesque provoque un décalage dans cet échange amoureux. Les mouvements du personnage alternent entre statisme et dynamisme. La théâtralité burlesque de cette scène 12 réside notoirement dans les mouvements exagérés qu'exécute l'amoureux transi, comme le suggèrent les didascalies fonctionnelles dans lesquelles on apprend finalement qu'il passe des larmes au rire, en « saut[ant] d'aise » à la fin de la scène. [...]
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