Iris Marion Young présente une théorie de l'« oppression », concept central rendant compte de l'ensemble des rapports sociaux inégalitaires selon elle. C'est une pensée de type critique, qui envisage le monde social, passé et actuel, comme traversé d'antagonismes et d'injustices.
Si on peut définir l'oppression de manière générale comme le fait qu'un groupe social empêche un autre groupe de réaliser ses potentialités d'être humain (ses droits naturels, en somme, ce qui situe Marion Young dans une longue lignée libérale anglo saxonne), on ne saurait selon cette théoricienne en rendre compte de manière par trop unifiée. C'est pourquoi elle propose une classification des mécanismes d'oppression en cinq facettes, qu'elle ne hiérarchise pas. Il s'agit de la violence, de l'exploitation, de la privation de puissance, de la marginalisation, de l'impérialisme culturel.
[...] Ainsi, si un type d'oppression recule, les autres doivent aussi être examinés. Les schémas inconscients, les éléments symboliques, qui ont des effets importants en termes d'oppression chez Young, sont particulièrement utiles pour saisir la continuité des faits sociaux, malgré la bienveillance explicite des législations, y compris. Les catégories de Young permettent de penser le caractère pernicieux de l'oppression qui d'après elle est loin de s'exprimer uniquement dans un contexte de violence tyrannique explicite (uniquement un des cinq visages) : « cette oppression est imbriquée dans la vie quotidienne ». [...]
[...] N'est-elle qu'une énième tentative de catégorisation, superficiellement lexicale ? Ou au contraire constitue-t-elle une percée aussi bien sur le plan heuristique que pour les acteurs sociaux qui voudraient s'en saisir ? Nous verrons que la théorie des cinq visages de l'oppression vient s'imposer comme une pièce renforçant la théorie plus globale de l'intersectionnalité, inventée par le black feminism et s'imposant peu à peu comme une référence majeure pour l'ensemble des mouvements sociaux. Elle prend place ainsi dans un arsenal théorique explicitement à disposition des mouvements contestant les mécanismes de l'oppression et donc dans une approche critique des sociétés contemporaines. [...]
[...] C'est la notion même d'oppression qui peut ainsi être engloutie dans son propre effort de théorisation. Ainsi on peut reprocher à une telle pensée d'être utilisable par l'oppresseur afin de « diviser pour mieux régner ». La multiplication des catégories d'oppression menace de faire disparaître « ennemi principal » au profit du « péril multiple ». Le débat sur l'intersectionnalité est toujours un débat interne aux groupes opprimés. Or, une dimension stratégique première de tout mouvement social a été la question de l'unité. [...]
[...] Les groupes sociaux de Young sont dans la même logique d'interaction. Mais les marxistes peuvent arguer que la classe sociale est objectivable, à travers sa définition matérielle, sa place dans les rapports de production. Quant aux autres groupes, ils peuvent être critiqués comme relevant de constructions purement idéologiques, participant d'arguments dans la lutte des classes, de la construction d'une hégémonie pour Gramsci. Les catégories de l'intersectionnalité reposent sur « l'existence d'un système de représentation qui est contingent » (Jaunait, Chauvin). [...]
[...] Ainsi la domination économique et l'oppression de genre ne peuvent s'analyser que dans une pensée d'imbrication, une pensée cumulative. La race, la classe, le genre, ne s'ajoutent pas, ces éléments d'identité se construisent ensemble dans des processus sociaux. La théorie de Young n'imbrique pas, elle distingue, et renvoie l'intrication au niveau individuel, ce qui est inappropriable, ainsi, par la théorie sociologique. Pour conclure, la théorie de Young est un effort qui semble viser à une réconciliation stratégique des mouvements sociaux autour d'un vocable commun. [...]
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