Fondé par Jean Vilar en 1947, le Festival d'Avignon ne fut au début qu'une « Semaine d'art » qui accueillit cinq mille spectateurs ; en 2006, plus de cent trente mille billets ont été vendus ; plus de huit cents compagnies théâtrales sont au rendez-vous du festival off, venu se greffer dans les années soixante ; ce festival fait oublier les langues pessimistes parlant de désertion du théâtre. Comment expliquer cette permanence d'un genre si ancien et peut-être le plus artificiel de tous ? Car, avec ses coulisses, son rideau, ses accessoires, le théâtre s'appuie bien sur l'illusion.
On peine à croire toutefois que le public ne se déplace que pour de l'artifice. Le théâtre exprime-t-il autre chose, exprime-t-il le réel ? Un réel qui nous concernerait davantage et au premier chef. Y aurait-il impossibilité pour le genre même de l'illusion à exprimer de la réalité ? Comment lever alors ce qui semble au départ une opposition dans les termes ?
[...] - La particularité de la double énonciation théâtrale permet l'existence de caractéristiques du genre, qui en soulignent l'artifice et l'illusion : dans l'aparté et le monologue, le personnage semble parler tout seul, alors qu'il s'adresse au public. Exemples : les apartés fréquents des comédies de Molière, qui créent le comique par la connivence avec les spectateurs ; le monologue de la reine dans Ruy Blas, II, 2. Des adaptations filmées de ce dernier feront d'ailleurs sauter la plus grande partie du monologue, trop artificiel (réalisation de Jacques Weber en 2002).
[...] - Par les costumes et les décors des effets réalistes peuvent être atteints : on a cherché à rendre les perspectives du mur du fond, avec des trompe-l'oeil ou avec un mobilier contemporain de l'action. La « couleur locale » voulue dans le théâtre romantique est notamment obtenue par les détails vestimentaires donnés par le dramaturge dans les didascalies : ainsi dans Ruy Blas, le pourpoint de soie du duc d'Albe, ou la robe de la reine, en drap blanc brodée d'argent, mais aussi la description par Hugo du salon de Danaé (acte I), ou des appartements de la reine (acte II). (...)
[...] Jamais un tableau si effroyable n'a été mis sous les yeux du public. La mise en scène, en imposant sa réalité crue, peut en effet frapper plus fortement l'esprit des spectateurs. - Pour susciter les émotions voulues, le théâtre doit éviter de se montrer complètement coupé de la réalité. Ainsi pour la tragédie classique, alors que bien des règles conduisent à l'invraisemblance, celle des bienséances montre l'emprise d'une réalité sociale qui est une autre forme de réalisme. Si le sang ne doit pas couler sur scène (et ce serait pourtant un effet réaliste), c'est parce que le temps si éloigné de la tragédie est rattrapé par la mentalité de l'époque de la représentation. [...]
[...] Nous pouvons donc conclure que même si le théâtre est le lieu de l'illusion et de l'artifice, il a parfois cherché à exprimer la réalité mais quelle réalité ? parce qu'elle est elle-même trompeuse, le théâtre permet de mettre en lumière la vérité au sein d'une réalité mensongère, avec les moyens qui lui sont propres, paradoxalement ceux de l'artifice. Peut-être est-ce là ce qui explique la pérennité de ce genre littéraire à part, qui n'existe pas sans l'étroite association du texte et de la représentation qui donne corps et vie au langage. [...]
[...] La seule spiritualité doit être l'objet de la représentation, et non les effets de réel. - Le théâtre a d'ailleurs cultivé l'invraisemblance : les règles d'unité édictées dans le théâtre classique : Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli / Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli écrit Boileau dans son Art poétique. Il est invraisemblable que dans Phèdre l'héroïne avoue son amour à son beau-fils dans l'idée que son époux est mort, le jour même du retour de ce dernier, par exemple. [...]
[...] Les pièces à machines du mouvement baroque mettent en scène le merveilleux : à la fin du Dom Juan de Molière, un spectre apparaît, le héros est emporté par les flammes dans la terre qui s'ouvre et la statue du Commandeur parle. - Le théâtre met d'ailleurs souvent en scène l'impossible. Le théâtre de l'Antiquité fait intervenir les divinités, comme Athéna qui discute avec Ulysse dans l'Ajax de Sophocle ; mais par la suite aussi le divin s'invite dans les pièces : ainsi chez Corneille Médée s'enfuit-elle sur un char tiré par des dragons dans le dénouement. [...]
[...] Fondé par Jean Vilar en 1947, le Festival d'Avignon ne fut au début qu'une Semaine d'art qui accueillit cinq mille spectateurs ; en 2006, plus de cent trente mille billets ont été vendus ; plus de huit cents compagnies théâtrales sont au rendez-vous du festival off, venu se greffer dans les années soixante ; ce festival fait oublier les langues pessimistes parlant de désertion du théâtre. Comment expliquer cette permanence d'un genre si ancien et peut-être le plus artificiel de tous ? Car, avec ses coulisses, son rideau, ses accessoires, le théâtre s'appuie bien sur l'illusion. On peine à croire toutefois que le public ne se déplace que pour de l'artifice. Le théâtre exprime-t-il autre chose, exprime-t-il le réel ? [...]
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