Dans son étude du Soulier de satin de Claudel, Michel Autrand précise les objectifs de sa démarche et, se référant au théâtre classique, fait observer que "quand il parle dramaturgie, Corneille ne parle à peu près jamais représentations". Il refuse ainsi de prendre en considération le rapport du texte aux contingences de la représentation : on doit aborder la dramaturgie par l'étude du texte, sans aucune considération de type spectaculaire. C'est donc contre la tradition d'un théâtre au service du texte que Dario Fo affirme, dans le Gai savoir de l'acteur, en 1999 : "A quoi sert l'improvisation ? A bâtir et tisser sur-le-champ un texte avec des situations, des mots, des gestes. Mais surtout à ôter de la tête des acteurs que le théâtre ne serait que de la littérature mise en scène, ornée de décors, et jouée au lieu d'être lue. Il n'en est rien. Le théâtre n'a rien à voir avec la littérature, quoi qu'on fasse pour l'y réduire. Brecht disait avec raison de Shakespeare : "?Dommage qu'il soit beau même à la lecture : c'est son seul défaut, mais il est grave. " Il avait raison. Une oeuvre théâtrale valable, paradoxalement, ne devrait pas plaire à la lecture et ne révéler sa valeur qu'à la réalisation scénique." Autrement dit, selon lui, le théâtre ne doit et ne peut s'assujettir au texte, car il est un spectacle. Irréductible donc à la littérature, il est nécessairement tributaire de la représentation scénique qui seule lui confère sa dimension plénière, aussi bien ludique par la relation vivante qui se noue entre des acteurs et un public qu'esthétique avec la création d'une forme nouvelle, et heuristique par la production d'un sens singulier. En privilégiant non sans véhémence la richesse et la spécificité de la représentation publique, ne risque-t-on pas de tomber dans le travers que dénonce justement Fo, celui de "réduire" le théâtre à une tendance plutôt qu'à une autre ? Peut-on vraiment choisir l'une au détriment de l'autre ? La présence de l'adverbe "paradoxalement" dans le propos de Fo montre toute l'ambiguïté d'une telle prise de position. Il s'agira en tout cas de s'intéresser, dans un premier moment, à la perspective défendue par Fo, celle du rejet du texte et de sa subordination à la mise en scène (...)
[...] L'intensité dramatique passe tout entière par les ressources du langage. Les didascalies sont presque absentes car la tragédie classique est pur discours, la parole se suffit à elle-même et cette parole est action. Dans l'univers tragique tout se passe comme si en dehors du langage les personnes n'existaient pas. D'Aubignac, dans La pratique du théâtre, en 1657, écrit qu'au théâtre, parler, c'est agir Il y a un plaisir de lecture réel chez Racine, et on faisait au XVIIième siècle des lectures de texte dans des cabinets. [...]
[...] Liberté de se représenter le physique des personnages, selon ses désirs, liberté de projeter ses fantasmes sur tel protagoniste, de détester tel autre, de rêver des décors ou des métamorphoses impossibles. Alors que la représentation nous impose des êtres de chair et d'os, avec leurs imperfections inévitables, dans un décor soumis à des contraintes matérielles innombrables, et parfois impossibles à dépasser, la lecture nous permet une représentation rêvée qui a tous les charmes de la perfection immatérielle. Les rapports entre le texte et la mise en scène peuvent donc être conflictuels. Ils n'en existent pas moins. [...]
[...] L'émotion qui gagne le spectateur montre que le pari est réussi. Que ce soit avec Oscar et la dame rose ou Le Neveu de Rameau, ce phénomène suggère que le théâtre n'est pas aussi spécifique qu'il le paraît : puisque des essais, des romans ou d'autres types mêmes peuvent aussi servir de support à une mise en scène théâtrale. Il implique qu'au fond, et pas seulement dans le monde du théâtre proprement dit, toute lecture suppose une représentation. On peut donc admettre de cette réflexion que le théâtre est un art de la représentation qui suppose à la fois une réalité textuelle et une réalité scénique. [...]
[...] De même, la représentation scénique aide à la compréhension des situations et facilite le comique. C'est le cas dans toutes les pièces qui utilisent le registre de la farce. Ainsi, Dans Le Tartuffe ou l'Imposteur, le spectateur ne peut pas oublier qu'Orgon est caché sous la table, car la table est constamment soumise à son regard. Il le peut en revanche à la lecture de la pièce. Or, c'est de la prise en compte de cette situation que dépend le sens des propos tenus. [...]
[...] Il n'est pas surprenant dans ces conditions que le texte finisse par être tout simplement dépassé par le spectacle. Artaud, dans Le théâtre et son double, prône un théâtre physique, non verbal, où le texte est idéalement éliminé. Alors que la tradition restreint la théâtralité au seul texte, il s'agit au contraire selon lui de privilégier l'espace, et le corps devient évocateur de sens par le geste, le mouvement, les expressions faciales. Quelle meilleure illustration que le 4e tableau du Balcon de Jean Genet, qui comporte une didascalie fleuve que viennent clôturer deux répliques composées de six mots. [...]
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