Si la question "qu'est-ce que la littérature ?" reste du domaine de l'aporie, quoi que les axes de réponse soient nombreux et soient d'ailleurs à l'origine de nombreuses littératures traitant de cela, la question "qu'est-ce que le roman ?" n'en reste pas moins complexe. Maupassant soulève cela dans la préface de Pierre et Jean, en se demandant la pertinence d'une même étiquette sur des oeuvres variées qui ne se ressemblent absolument pas, comme Gargantua ou Manon Lescaut. S'il est caractérisé et communément admis comme un long récit fictionnel et en prose, à quelques exceptions rares et passées comme le roman chevalier qui était versifié, il n'est toutefois pas possible de le définir dans sa globalité, avec certitude et précision.
Aussi, l'encyclopédiste d'Alembert écrit : "malheur au roman que le lecteur n'est pas pressé d'achever". Le terme "malheur" renvoie au médiocre, à l'échec, le "lecteur" est celui qui consomme le roman, puis le participe "pressé" implique la hâte, hâte de terminer, d'"achever" le dit roman. Cela impliquerait l'intrigue, qui répond à la hâte à laquelle fait allusion le littérateur, au coeur même de l'oeuvre, en tant que critère du bon. Ainsi, comme le suggère d'Alembert, la principale qualité littéraire d'un roman est-elle de captiver son lecteur ?
La question cantonne le lecteur à la simple consommation hâtive d'une intrigue. Alors certes, le roman peut, de par sa narration et la mise en oeuvre de son intrigue, captiver le lecteur et le conduire à l'empressement. Or, consommer hâtivement une intrigue, ne serait-ce pas manquer d'autres expériences que peut offrir un roman ? Ces questions limitent le genre, au travers même de ses différentes spécificités, à son intrigue et à sa mise en forme. Le roman ne serait-il pas plutôt un art à part, conscient de lui-même, c'est-à-dire simple outil de son auteur, ce qui ferait alors de l'intrigue plus une servante qu'un pilier fondateur ?
Cette réflexion soulève, somme toute, un problème majeur lié à la littérature, c'est-à-dire sa place en tant qu'art, et son détachement du simple récit alors même que les deux ont été de nombreux siècles durant intimement liés (...)
[...] Mais ces spécificités, même si elles nient l'intérêt absolu de la hâte, caractérisent le roman traditionnel comme s'articulant autour de l'intrigue, de sa mise en forme, et semblent placer ainsi ce seul élément, quoi que vaste certes, en tant que fondateur même du genre romanesque. Mais le roman n'est il fondé que sur une intrigue ? Ne peut-elle pas n'être que la servante du romancier, qui ferait ainsi de son roman un art conscient de lui-même, un outil ? Jusqu'à lors, le sujet a été traite de manière anachronique, traitement nécessaire et plus judicieux, mais il reste intéressant de se pencher sur le contexte même de la citation. D'Alembert écrit cela au XVIIIe siècle, c'est-à-dire à la naissance même de l'individu dans le roman. [...]
[...] L'application du schéma narratif ou quinaire, sur chaque roman quasiment, est représentative d'un certain horizon d'attente que l'on peut avoir en commençant l'œuvre. Si l'intrigue change, c'est le même schéma qui est répété. Une situation initiale, qui présente les personnages et le cadre, un élément perturbateur, qui apporte un ou plusieurs problèmes que cherchent à déjouer le ou les personnages, par le biais d'actions, actions qui amènent à la résolution de ce problème. L'intrigue se clôt alors sur une situation finale. [...]
[...] On voit souvent dans un roman un fragment de vie arraché, inventé, imaginé. Mais un roman, comme tout texte écrit, c'est avant tout du temps de passé. Lire, c'est quelque part voire s'écouler le temps de lettres en lettres, de manière artistique et matérialisée. La fuite du temps, sa défiance, est un thème récurrent dans la littérature. Proust, dans A la recherche du temps perdu, explicite tout le lien qu'a le temps avec la littérature. D'une part, le souvenir est immortalisé, l'auteur suinte même dans la fiction la plus profonde. [...]
[...] On évoquait Beckett, on peut également évoquer le cas du nouveau roman, théorisé entre autres par Sarraute avant l'heure dans L'Ère du soupçon et Robbe-Grillet dans Pour un nouveau roman, un nouveau roman qui fait davantage appel à la culture du lecteur et qui relègue l'intrigue comme les personnages à l'arrière plan, faisant du roman un art autosuffisant, bien loin du roman du XIXe, ou même de ses ancêtres. Ces essais, ces expérimentations, accentuent la difficulté de définir le genre même du roman, et mettent à bas la thèse qui elle place l'intrigue captivante au cœur de celui-ci, en tant que qualité littéraire principale. En revanche, il est une finalité que chaque roman sert, explicitement ou non. [...]
[...] A cette époque, le roman est souvent forme empruntée par son auteur pour déguiser une pensée. Si le roman n'était réellement que de qualité par son aptitude à captiver le lecteur, pourquoi alors tant d'auteurs déguisèrent les leurs sous diverses formes, comme l'épistolaire ? Dans ses Lettres Persanes, Montesquieu, sous les apparences d'un simple échange de lettres entre deux orientaux qui arrivent en occident, fait une critique de la société française. Les lettres que s'échangent les deux amis jouent sur l'ignorance et la naïveté pour faire transparaître diverses choses dans leurs écrits, et Montesquieu se sert de cette correspondance comme outil pour véhiculer sa critique. [...]
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