A l'origine, la poésie lyrique était faite pour être chantée. Le terme « lyrisme » vient en effet du substantif « lyre », et désigne l'expression poétique utilisant cet instrument en accompagnement. C'est au XIXe siècle, avec le courant romantique (qui privilégie le « moi », délaissé par les philosophes des Lumières), que la poésie lyrique prend la définition que nous lui associons spontanément aujourd'hui : celle de l'expression des sentiments intimes du poète, de son émotion. Lamartine, poète romantique et lyrique par excellence, soutient ainsi, dans la préface de ses Recueillements poétiques, que « la poésie, c'est le chant intérieur. [...] Je passe quelques heures assez douces à épancher sur le papier, dans ces mètres qui marquent la cadence et le mouvement de l'âme, les sentiments, les souvenirs, les tristesses, les impressions dont je suis plein ». La définition proposée par l'auteur dans la première phrase de la citation ne s'applique pas uniquement à la poésie lyrique, mais semble valoir pour toute poésie (on peut remarquer la présence du présentatif « c'est » et de l'article défini « la », à valeur générale). Cette conception de la poésie comme « chant intérieur » correspond parfaitement à l'activité du poète. Ses vers expriment en effet l'épanchement de son moi, comme on peut le constater dans la longue énumération finale. C'est d'ailleurs en son nom que parle Lamartine : la présence de la première personne du singulier, utilisée 2 fois (« je passe », « dont je suis plein »), en témoigne. La citation de notre auteur définit donc parfaitement la poésie lyrique à l'époque romantique, mais peut-elle, comme le fait le poète, s'appliquer à toute la production poétique ? La poésie est-elle nécessairement le support des sentiments intimes du poète ? N'existe t-il pas, même dans le lyrisme, une poésie impersonnelle ? Le poète ne peut-il pas chercher avant tout à véhiculer un message, en privilégiant son lecteur plutôt que lui-même ? Enfin, « je » lyrique et « je » autobiographique se confondent-ils obligatoirement ? Selon la conception romantique du lyrisme énoncée par Lamartine, la poésie peut être considérée comme « chant intérieur ». (...)
[...] Dans Trop, I on peut ainsi lire : Fin de semaine on est / A bout de souffle sans raison / Dans le jardin / Tout est très calme et plus loin : On voit dans / Le ciel bleu le prunus / Cette fin d'été diluée / Avec moins de lumière / Chaque jour . Le lyrisme est bien présent dans ces extraits évoquant la fin d'une journée et d'une saison. Mais quelle valeur accorder à ce on ? Il s'agit en effet d'un pronom de troisième personne ambigu, que l'on classe dans la catégorie des pronoms personnels mais qui possède plutôt le sens d'un indéfini. L'individualité du poète semble ainsi se diluer dans l'emploi de ce on à la fois personnel et indéfini. [...]
[...] / Car elle est quelque part sans doute ! A l'inverse, lorsque ce sont des souvenirs heureux que le poète évoque, il choisit l'octosyllabe, plus léger. Les vers sont souvent associés à des saisons comme le printemps ou l'été, aux beaux jours, c'est-à-dire à des éléments naturels connotant la gaieté, le rire : Quand la lune claire et sereine / Brillait aux cieux, dans ces beaux mois, / Comme nous allions dans la plaine ! / Comme nous courions dans les bois ! [...]
[...] La présence du je dans la poésie lyrique fait d'elle une poésie universellement partagée. Malgré la valeur universelle du je lyrique, certains poètes refusent d'utiliser la première personne du singulier dans leurs œuvres, au profit d'une énonciation plus complexe, témoignant de leur doute à s'associer à ce je présent sur le papier. Tel est le cas d'Apollinaire, qui dans Zone, poème liminaire du recueil Alcools, utilise la deuxième personne du singulier : Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule / Des troupeaux d'autobus mugissants près de toi roulent / L'angoisse de l'amour te serre le gosier / Comme si tu ne devais jamais plus être aimé . [...]
[...] C'est notamment le cas dans la section Pauca meae des Contemplations. Lorsque la mort de Léopoldine est évoquée en des termes douloureux, Hugo choisit l'alexandrin, le vers noble de la poésie française, mais aussi le plus long, pour dire son chagrin. Celui-ci contient souvent des interjections et des exclamations qui témoignent du grand désarroi du poète. Dans le poème IV, on peut ainsi lire : Oh ! que de fois j'ai dit : Silence ! elle a parlé ! / Tenez ! [...]
[...] Contre l'épanchement des sentiments, certains poètes font en effet le choix de l'objectivité et de l'impersonnalité. En outre, la première personne du singulier présente dans un poème lyrique ne renvoie pas toujours à l'auteur, contrairement à ce que laisse penser le poète dans la citation. Les poètes lyriques utilisent très souvent la première personne du singulier dans leurs œuvres. L'expression de sentiments intimes, la retranscription d'émotions ou de souvenirs personnellement éprouvés favorisent l'illusion d'une nécessaire correspondance entre je de l'énoncé et je de l'énonciation. Or il convient de dissocier sujet lyrique et sujet autobiographique. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture