Claude Lefort : « Relire n'est pas lire une seconde fois, mais nouer un rapport nouveau avec ce qui se fait reconnaître comme un texte : relire est perdre notion du temps de la lecture, et se délivrer du charme qu'exerce de façon répétée la chose dite ici et maintenant »
Dans la Lecture, Vincent Jouve constate que « le texte n'est pas seulement « une surface », mais aussi un « volume » dont certaines connexions ne sont perceptibles qu'à la seconde lecture ». Il établit donc une différence de nature entre la lecture et la relecture, la première étant plus superficielle alors que l'autre est plus approfondie. Telle est aussi la thèse de Claude Lefort qui affirme que « relire n'est pas lire une deuxième fois » car, relire, c'est « nouer un rapport nouveau avec ce qui se fait reconnaître comme un texte ». Entre la lecture et la relecture, il s'agit donc d'une différence de rapport au livre, qui se fait soit histoire, soit texte. Cette transformation est due au fait que « relire est perdre notion du temps de la lecture et se délivrer du charme qu'exerce de façon répétée la chose dite ici et maintenant ». En effet, la nouveauté du rapport au livre s'explique par le passage d'un rapport temporel à une histoire, à un rapport atemporel à des mots, d'un rapport de soumission à l'attraction d'une fin, à un rapport lucide d'analyse. Néanmoins, pour un lecteur avisé, voire professionnel, la relecture est-elle si différente de la lecture, et lui-même, est-il soumis de la même manière au « charme de la chose dite ici et maintenant » ? On peut alors interroger cette différence de nature entre la lecture et la relecture, et postuler qu'elles se rejoignent dans leur aspect créateur de sens dans l'espace intérieur du lecteur.
[...] Claude Lefort définit plus précisément ce rapport et ce qui en fait sa nouveauté, sa spécificité. Relire est perdre notion du temps de la lecture, et se délivrer du charme qu'exerce de façon répétée la chose dite ici et maintenant Il s'agit donc avant tout d'un rapport temporel : la lecture s'inscrit dans le temps, un temps dont on perd la notion au cours de la relecture. En effet, la lecture est linéaire et orientée, c'est-à-dire qu'on lit progressivement les pages les unes après les autres à peu près à la même vitesse avec la fin comme horizon. [...]
[...] Ainsi, dans Ma Bohème, Rimbaud reprend à Banville la rime fantastiques/élastiques des Odes funambulesques. Cette compréhension s'effectue dès la première lecture et le charme perd de son pouvoir enchanteur. Le lecteur, quel qu'il soit est saisi par toute la beauté des poèmes, mais leur caractère énigmatique qui fonde ce charme est en partie levé par ces connaissances. Le charme levé, le lecteur peut aller consulter même très brièvement un ouvrage pour confirmer certaines intuitions. Le temps de la lecture est brisé et cette première lecture commence à être atemporelle. [...]
[...] Cette multiplicité de lectures possibles donne soit à la première lecture un caractère de relecture avec un objectif d'analyse, soit aux relectures une allure de première lecture par l'apparition d'un autre charme : découverte de nouveaux éléments qui induit une nouvelle lecture charmée, à la recherche de toutes les actualisations de l'élément découvert. Dans cette optique, le lecteur prend un rôle actif de création de sens. Ainsi, Umberto Eco dans l'Oeuvre ouverte écrit que la poétique de l'œuvre ouverte tend à faire du lecteur le centre actif d'un réseau inépuisable de relations parmi lesquelles il élabore sa propre forme sans être déterminé par une nécessité dérivant de l'organisation même de l'œuvre Ainsi, deux lecteurs peuvent faire des lectures, c'est-à-dire deux interprétations, différentes d'un même texte. [...]
[...] Par ailleurs, le roman est accompagné de pièces annexes, qui invitent à lire le livre non pas de façon linéaire mais différemment, soit en suivant l'histoire d'un personnage, soit à partir de la liste des anecdotes racontées. Tous ces éléments brouillent la notion de temps de la lecture. Le lecteur avisé peut donc jouer avec tous ces niveaux de lecture, choisissant par lui-même de se laisser entraîner par les mots, ou de mener une lecture raisonnée à partir de l'index. [...]
[...] Ainsi, pour Claude Lefort, relire n'est pas lire une seconde fois car le relecteur est dans un rapport au texte désormais atemporel, et délivré du charme de la chose dite ici et maintenant. Il peut alors se pencher sur la lettre du texte pour l'analyser car il en saisit la cohérence d'ensemble et est plus à même d'en apprécier la qualité littéraire. Néanmoins, lorsqu'un lecteur avisé, voire professionnel commence un nouveau livre dont il ignore la fin, il de par son expérience, les dispositions mentales d'un relecteur. [...]
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