Le projet littéraire de Kateb est strictement rapporté aux deux mondes entre les quels l'écrivain se retrouve : d'un côté le monde arabe avec sa langue et sa tradition littéraire et de l'autre, « la tentation de l'Occident » (si l'on pense à Malraux), mais en même temps les tensions qui s'installent entre les deux. Entre les deux continents il y a aussi de différences qui visent le rapport de l'homme au temps et à la durée. C'est pour cela que nous avons consacré un sous-chapitre à la problématique de la temporalité.
Aussi, Nedjma est un roman déconcertant pour plusieurs raisons. Le lecteur peut être gêné, perturbé au long de sa lecture des nombreuses passages qui se situent entre la fiction et la réalité, de nombreuses passages d'un genre à l'autre (du réalisme au poétique), d'une chronologie perturbatrice, du pluriperspectivisme, en somme, d'un roman forment éclectique.
Avec Nedjma, Kateb parvient à réaliser un projet à la fois épique qu'esthétique.
[...] Le réalisme peut être repérable au niveau de sa valeur de témoignage, de sa valeur documentaire qui construit l'effet du réel, le vraisemblable. Mais si on prend par exemple les descriptions des paysages dans le texte, à la différence de l'écriture réaliste, pour laquelle le paysage constitue l'arrière plan sur lequel se profile l'action, dans les descriptions par exemple de l'arrivé des personnages dans les gares des villes de Bône et de Constantine, on peut voir « non de simples décors, mais des êtres sexuels où s'investit la pulsion névrotique du sujet clivé dont l'instance optique gouverne l'insertion descriptive. » Marc Gontard parle même d'une « inscription fantasmatique de la libido dans le paysage et projection névrotique de la frustration sexuelle dans l'Histoire. »
Le roman apporte au lecteur une nouvelle vision sur la temporalité, une chronologique assez difficile à saisir et à suivre. L'intrusion du passé dans le présent, les prolepses et les analepses, la durée rétrospective les juxtapositions, les ruptures, les glissements rendent la lecture assez dure.
Il faut signaler aussi la bien connue distinction temps réel / temps mythique que le texte opère (...)
[...] Nedjma (1956) de Kateb Yacine in Formes et imaginaire du roman, textes réunis par Jean Bessière et Daniel-Henri Pageaux, Honoré Champion, Paris p Id. Jacques Noiray, Littératures francophones. I. Le Maghreb, Belin, Paris p. 14-16. Jean-Marc Moura, imaginaire romanesque de la rupture. Nedjma (1956) de Kateb Yacine in Formes et imaginaire du roman, textes réunis par Jean Bessière et Daniel-Henri Pageaux, Honoré Champion, Paris p Marc Gontard, La pulsion descriptive. Paysages des villes dans Nedjma in Kateb Yacine, 76e année, no 828 / Avril 1998, p Ibid., p Jacques Noiray, Littératures francophones. [...]
[...] Souvent, le discours est réduit à sa fonction de communication (suit à un processus d'observation qui procède par des images très forts) tout en rapportant les événements, mais en même temps ne cessant pas de relever des problèmes philosophiques (et laissant souvent l'impression d'une incohérence et d'une absurdité du monde et de la réflexion) : Non. Il faut lutter contre les rêves. Lakhdar paie le prix de la baignade et de la veillé. L'âne boit. Lakhdar tient la bride. Le petit frère est heureux. Lakhdar rêve. L'âne boit longtemps. [...]
[...] Je me souviens de mon aventureuse enfance ; vrai ; j'étais libre ; j'étais heureux dans le lit du Rhummel [ ] (p. 148) On peut parler aussi de la mémoire musulmane, avec le pèlerinage vers la Mecque et de la mémoire tribale[24] avec toutes les références à ce temps mythique et à Keblout. L'alternance des récits, la multiplication des narrateurs, des points de vue, le texte en bribes, les éléments disparates, l'impression de désordre font de ce roman une sorte de puzzle que laisse au lecteur la tache de le réunir, de le reconstituer, de le reconstruire. [...]
[...] [ ] J'ai caché la Vie d'Abdelkader./ J'ai ressenti la force des idées. / J'ai trouvé l'Algérie irascible. Sa respiration . / La respiration de l'Algérie suffisait. / Suffisait à chasser les mouches. / Puis l'Algérie elle- même est devenue / Devenue traîtreusement une mouche. Mais les fourmis, les fourmis rouges. / Les fourmis rouges venaient à la rescousse. (p. [...]
[...] La forme circulaire, fermé, symétrique constitue l'apanage du réalisme. A la fin de roman, on reprend des textes qui marquent son début le début est repris dans l'avant-dernier chapitre, un passage du neuvième chapitre de la première partie est reproduit dans le dernier chapitre)[11] ce qui renvoie à l'idée de recommencement, de retour aux origines, tout en gardant l'idée d'un univers cyclique, répétitif. Le fait qu'on reprend par exemple l'image du chemin qui sépare suggère que la vie comme le roman est à reprendre et toujours à recommencer : - Je vais à Constantine, dit Rachid. [...]
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