Dans Molloy, premier volume de la trilogie romanesque de Samuel Beckett, le personnage éponyme affirme ironiquement : « Dire que je fais mon possible pour ne pas parler de moi. » Pourtant, comme tend à le souligner Jean-Jacques Mayoux dans Molloy : un évènement littéraire, une œuvre « le véritable objet de l'ouvrage, c'est de montrer la quête de soi ». Cette citation sous-entend un moi fluctuant, amenant par le besoin de saisir sa vérité Molloy à entreprendre un voyage métaphysique pour échapper aux « limites de sa région » et saisir ainsi l'essence de son existence. Ce qui nous amène aux questions suivantes : « En quoi l'œuvre témoigne-t-elle d'une recherche d'un retour à l'essence de l'être ? En quoi l'œuvre met en exergue l'impossible réunion du « je » et du « moi » ?
[...] De même, se libèrent-ils de tous besoins matériels, fidèles à la pensée platonicienne que nos possessions finissent par nous posséder, Mais pour cela je dois attendre, pour être certain de ne plus rien pouvoir acquérir, ni perdre, ni jeter, ni donner Dépourvu de tout, jusqu'à son propre corps (Molloy perd ses doigts de pied, ne mange presque plus), le moi se révèle, épuré de toute nécessité pouvant influer et altérer l'existence, comme le dit Sartre dans la Nausée : Les gens ont chacun leur petit entêtement personnel qui les empêche de s'apercevoir qu'ils existent Ainsi, le récit du voyage irréel de Molloy et Moran s'apparente à la destruction de la fabrique de mirages, de l'entreprise d'auto supercherie altérant le moi vers un retour à un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept afin de franchir les limites de régions jusqu'alors inexplorées. On peut alors véritablement parler de naissance dans la mort pour caractériser le récit du voyage intérieur de Molloy et de Moran. [...]
[...] Parce qu'elle est une manifestation extérieure, corrompant et influençant l'essence de l'être. Ainsi, toute forme de conventions, de règles produites par la société est autant de pollutions extérieures susceptibles de confondre la quête d'identité dont le récit de Moran et Molloy rend compte. On peut alors observer une lutte constante contre toute forme de système provenant de la société des hommes. La reptation de Molloy se veut volontaire et témoigne de cette défiance : J'aurai renoncé à la démarche debout, celle des hommes Il est alors logique de voir Molloy et Moran remettre en doute toute règle, la première étant la langue par laquelle ils s'expriment. [...]
[...] Dès le début de l'œuvre, Molloy nous annonce le motif de ses écrits Voici mon commencement Autrement dit, ce que nous allons lire est la confession intime d'une naissance, non pas maternelle, mais provoquée par la mort de l'ancien moi pour un retour régressif à l'essence de l'être, par un processus de décomposition nettoyant la surface poussiéreuse du moi On naît de travers semble vouloir nous faire entendre Molloy, son voyage irréel vers le tréfonds de l'âme ainsi que celui de Moran s'apparentant alors à une véritable remise à l'endroit Décomposer, c'est vivre nous dit Molloy, et cette entreprise de retour à un moi épuré se fait tout d'abord pour Moran par la destruction de l'apparence habillant son être d'illusions, métamorphose dont le récit de Molloy est exempt, ce dernier étant lui déjà libéré au début de son récit de ce maquillage souvent inconscient de l'être. En effet, Moran est à la fois un caractère et plusieurs fonctions qui sont autant de couches successives masquant son essence. C'est un père jouant son rôle de père, maintenant son fils sous son joug et lui supprimant toute tentation, dans une caricature de l'Autorité parentale. [...]
[...] Mais étaient-elles les bonnes ? ( ) J'en venais à douter de l'existence de Gaber lui-même puis par la critique des enseignements qu'il avait lui-même prodigués à son fils Mais il faisait partie de ce docile troupeau allant remercier encore une fois Dieu de ses bienfaits et implorer pardon et miséricorde, et ensuite s'en retournant, l'âme rassurée, vers d'autres satisfactions Autant d'interrogations et de regards critiques sur lui-même qui témoignent d'une mise en doute toute cartésienne des différentes parties qui composaient son moi et d'un début de décomposition de l'être. [...]
[...] c'est que personne ne semble parler. Il semble en effet que Beckett déconstruit ses personnages pour mieux souligner leur inexistence. Comment comprendre autrement que deux je coexistent dans une seule et même œuvre ? Comment croire en l'existence fictionnelle de Molloy et Moran alors que Beckett surligne alors par ce procédé sa présence ? En brisant l'illusion narrative, Beckett souligne d'autant l'illusion existentielle dans laquelle l'homme est condamné. [...]
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