[...] Dans ces trois ouvrages, le plaisir que tire le lecteur est parfois le même. C'est le cas du plaisir lié à leur forme particulière, leur originalité ; avec tout de même des variantes selon les romans.
Ces trois oeuvres sont plaisantes par leur forme, qui dynamise la lecture et la favorise. En effet, les Lettres persanes et Les Liaisons dangereuses sont des romans épistolaires et Le neveu de Rameau constitue un dialogue. S'ensuit alors une vraisemblance dans ce qui est conté ; ce qui plaît fortement au lecteur. Les lettres par exemple sont composées d'un destinataire, d'un expéditeur, d'une date, d'un lieu... ce qui prouve la véracité des faits rapportés et donc transporte le lecteur dans l'histoire. C'est pourquoi Montesquieu écrit dans ses Réflexions sur les Lettres persanes : « Ces sortes de romans réussissent ordinairement, parce que l'on rend compte soi-même de sa situation actuelle ; ce qui fait plus sentir les passions que tous les récits qu'on en pourrait faire ». De plus, les lettres ayant des réponses, cela est d'autant plus plaisant pour le lecteur, au coeur de cette correspondance. Néanmoins, il est bon de noter que dans les Lettres persanes, Montesquieu donne l'illusion d'un véritable échange mais les réponses ne sont pas toujours établies.
[...] Le plaisir du lecteur vient aussi de la réflexion que l'oeuvre lui suscite. En effet, ces trois oeuvres constituent des romans satiriques. Les Liaisons dangereuses constituent une satire des nobles, des moeurs de la haute société, d'une société aristocrate que l'ennui pousse aux conquêtes érotiques et immorales. Tilly a d'ailleurs fait dire à Laclos dans ses Mémoires qu'il avait voulu composer une oeuvre « qui sortît de la route ordinaire, qui fît du bruit et qui retentît sur la terre » quand il y aurait passé ; ce qui explique le scandale et la réaction violente du public provoqués par cette oeuvre à la suite de sa publication. Il en est de même pour Le Neveu de Rameau qui est une violente critique de la société de l'époque, avec des prises de position idéologiques audacieuses dans les domaines interdits : éducation, place de l'homme dans le monde... (...)
[...] Roland Barthes décrirait alors ces types de romans comme des textes de jouissance cela restant tout de même subjectif. Ainsi, dans les Lettres persanes, le paradoxe est permanent : les deux protagonistes Usbek et Rica ne cessent de critiquer le système mis en place, mais les lettres adressées en Perse à leurs correspondants montrent que les changements qu'ils voudraient voir en France, n'ont pas lieu d'être dans leur pays d'origine. De la même manière l'histoire des Liaisons dangereuses constitue une double histoire ; la vraie histoire contée par Merteuil et Valmont et l'histoire illusionnée contée par les autres personnages qui sont dans la naïveté de ce que sont réellement Merteuil et Valmont, qui sont bercés dans l'illusion. [...]
[...] Or, quand Barthes écrit dans Le plaisir du texte : le plaisir du texte vient évidemment de certaines ruptures, collisions ( ) des messages pornographiques viennent se mouler dans des phrases si pures qu'on les prendrait pour des exemples de grammaires ; il montre ainsi que ces phrases sont sources de jouissance ; or elles sont omniprésentes dans le roman de Laclos. Quant au Neveu de Rameau, il en est de même : le lecteur est au centre d'une conversation entre deux personnages très différents : Lui, qui représente le rejet des conventions, de la honte morale et qui pense qu'il faut être immoral et Moi, philosophe moraliste. Ces deux personnages tentant de mettre à mal les postures de l'autre. De la même manière, ces romans sont aussi plaisants par leurs personnages fascinants. [...]
[...] Et également à Usbek, Lui dans le Neveu de Rameau est aussi fascinant par le paradoxe, le mystère qui le caractérise : il profite de la société corrompue mais en même temps, porte un regard très lucide, perspicace sur un monde dominé par la corruption, l'argent, l'égoïsme Tous ces personnages sont donc intrigants et c'est pourquoi ils nous plaisent. Et ce qui est d'autant plus plaisant, c'est lorsque le lecteur s'identifie à ces personnages ; on est heureux de vivre dans d'autres vies que la sienne disait Baudelaire. Enfin, le plaisir lié à ces textes est également accessible par la place que tient le lecteur pendant la lecture. [...]
[...] Et les raisons principales citées ci-dessus ne sont peut-être en réalité qu'un échantillon. Car, le plaisir lié à ces œuvres dépend en réalité de ce que l'on cherche dans sa lecture et on ne saurait dire clairement les caractéristiques et les causes du plaisir qu'une œuvre nous suscite. [...]
[...] Dans la lettre XXIV des Lettres persanes par exemple, le plaisir du lecteur est lié au jeu entre le scripteur et lui-même ; il s'agit de reconnaître ce qui se cache derrière les périphrases (références culturelles, historiques De nombreuses lettres jouent avec la connivence avec le lecteur, le déchiffrement (lettre CXLII, lettre XXXVIII De la même manière, Diderot dans le Neveu de Rameau ; a la capacité de donner une force égale aux deux antagonistes ; le lecteur n'est pas sûr avant la fin de quel côté penche l'auteur, ou peut-être ne l'est-il jamais. Il est difficile de savoir si Diderot est incarné en lui ou moi. En effet, puisque Diderot s'identifie à la fois avec lui (même traits physiques ) et avec moi M. le Philosophe Le plaisir se trouve alors dans l'énigme, dans le désir de déchiffrer qui est qui en réalité. Le plaisir du lecteur vient aussi de la réflexion que l'œuvre lui suscite. En effet, ces trois œuvres constituent des romans satiriques. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture