« J'en sais dont le crâne est trop différent du mien pour qu'ils acceptent jamais ma formule littéraire, mes audaces de langue, mes bonshommes physiologiques évoluant sous l'influence des milieux ». Derrière la formule de Sandoz au chapitre XI de L'Oeuvre, Emile Zola récusait ceux qui prétendaient pouvoir juger de la littérature en valeur absolue. La littérature peut autant être plaisir que subversion tout comme continuité ou innovation. L'expérience littéraire est singulière. Evaluer une oeuvre, lui attribuer une valeur économique ou une valeur esthétique, revient à se fonder sur une appréciation relative. L'oeuvre littéraire est une tentative. Son but est de donner une perception possible du langage. En cela, l'oeuvre
de François Villon répond à ce jeu perpétuel sur les potentialités de la langue.
Roger Dragonetti écrit : « Imitation d'un genre appelé ''Testament burlesque'', la parodie du Lais et du Testament est portée à la seconde puissance pour devenir une parodie de la littérature comme telle. » Villon, comme d'autres avant lui, opère une tentative d'approche d'un format littéraire de son temps. Il se complait à tourner en dérision le rituel funéraire du testament, logiquement à huis clos. Le poète de la moitié du XVème siècle introduit de l'esprit dans la gravité de l'acte judiciaire. Cependant, il ne s'agit pas seulement de pasticher une certaine forme esthétique. Porter la parodie au plus haut suppose d'utiliser les formes et les codes admis de la littérature pour les mélanger, les confronter ou même s'en moquer. En cela, la littérature parodie se fait art marginal. La parodie peut avoir des visées ludiques ou comiques mais comporte surtout une dimension polémique. Elle marque une rupture avec des ouvrages et des courants ressentis comme surannés.
Le critique suppose encore que « la littérature ne pourra jamais être autre chose que sa propre contrefaçon, le double d'un original perdu ». Il n'existe pas d'idéal originel de la littérature. L'artiste-écrivain travaille dans la plus grande méconnaissance de ce que peut être l'idéal métrico-thématique de l'oeuvre. En revanche, il sait pouvoir compter sur ce que d'autres avant lui ont essayé d'approcher. De plus, « c'est parce qu'il n'y a jamais eu d'écriture qu'en simulacre, que Villon ne cesse de mettre en scène les attitudes de la langue et ses registres citationnels ». L'écriture ne renverrait ainsi à aucune réalité sous-jacente. L'écriture est un agrégat des possibilités offertes par les textes littéraires. Le poète qu'est Villon se trouve en permanence dans la posture. Autrement dit, il fait toujours appel à un « déjà connu » pour créer ses propres scènes. La littérature est en cela une matière mouvante et malléable. L'écriture consiste en la récupération et le recyclage, dans la continuité ou dans la rupture. (...)
[...] Même si Villon masque le genre, il montre qu'il est en prise avec une poétique brève le ramenant à ses prédécesseurs et créant l'intertextualité. Enfin, le choix du huitain d'octosyllabe pour la majeure partie du texte ne rompt pas avec un Hélinand de Froidmont ou un Rutebeuf qui avaient tous deux usé des strophes de douze octosyllabes. Au delà des formes qui ne brisent pas le fil conducteur de la littérature du Moyen-Âge, bien que Villon se permette des libertés, le poète n'hésite pas à insérer des motifs déjà essayés. [...]
[...] L'oeuvre se construit dans l'autorité du modèle et le simulacre de l'imitation. En d'autres termes, seule une langue en mouvement peut rendre compte de la réalité de la création littéraire. L'équilibre fragile des langages et des régimes d'écriture chez Villon permet d'entrevoir ce lieu multiple qu'est l'entre-deux Alors qu'au XVème siècle la courtoisie est encore puissante, Villon la met à mal en feignant de jouer la continuité. Ainsi la Ballade à s'amye n'est elle qu'un enchevêtrement d'expressions courtoises en trompe-l'oeil et de formules pittoresques qui discréditent toute sincérité rhétorique de la passion. [...]
[...] Le poète est dans une defamiliarisation des mythes. La ballade en vieux 3/8 langage françois était sévèrement jugée comme médiocre par Gaston Paris qui n'y voyait qu'un pastiche de l'ancienne langue. Au demeurant, Villon semblait tout y faire pour suggérer un art du pastiche en y plaçant des impropriétés autant dans la langue que dans le défilé carnavalesque des personnages. Le pape venant avec l'empereur, le dauphin et une suite hétéroclite de - Heraux, trompectes, poursuivans - Chez Villon, le monde se renverse en permanence. [...]
[...] Claude Simon joue ainsi de la capacité dispositionnelle de l'oeuvre pour abattre les conventions et rendre compte d'un réel imparfait Enfin, dans cette logique de découverte d'un monde de plus dépasser le modèle permet d'ouvrir la voie à un nouveau jeu des possibles et un champ innovant des potentialités. Qui n'a pas eu la réaction sommaire de railler le La Fontaine de son enfance en découvrant plus tard qu'il ne faisait que reproduire Esope ? Bien entendu, la vérité est ailleurs. Si les motifs sont anciens, la mise en vers est nouvelle tout autant que l'originalité du propos. Dans les Fables il ne s'agit pas d'enseigner des leçons immémoriales pour les ignorants mais plutôt d'en renouveler l'expression pour ceux qui les connaissent déjà. [...]
[...] En cela l'intertextualité est foisonnante. Même Villon, qui brise certains repères en faisant valser ses références, ses lieux et ses personnages sans logique apparente, ne rompt pas totalement avec la tradition docile de la représentation. Comme tout registre citationnel le texte du monde est un texte qu'il faut déchiffrer. Le romancier qu'est Claude Simon n'aurait jamais pu décrire comme le faisait Balzac. Le modèle romanesque d'un Père Goriot est totalement suranné pour un moderne en rupture comme Simon. Dans La Route des Flandres, la conception du roman en structure ouverte montre une évolution importante de l'esthétique romanesque qui perturbe tous les modèles de description antérieurs. [...]
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