Qui ne connaît pas la célèbre définition du roman par Stendhal ? « Un roman : c'est un miroir que l'on promène le long d'un chemin » (Le Rouge et le Noir, première partie, XIII). Selon cette acception, le roman serait une simple copie de la réalité : son cadre, ses personnages, simples reflets du monde.
Les propos de Camus développés dans L'Homme révolté (1951), apparaissent plus nuancés : « Qu'est-ce que le roman [...] sinon cet univers où l'action trouve forme, où les mots de la fin sont prononcés [...] où toute vie prend le visage du destin. Le monde romanesque n'est que la correction de ce monde-ci, suivant le désir profond de l'homme. Car il s'agit bien du même monde. [...] Les héros ont notre langage, nos faiblesses, nos forces. Leur univers n'est ni plus beau ni plus édifiant que le nôtre. Mais eux, du moins, courent jusqu'au bout de leur destin et il n'est de si bouleversants héros que ceux qui vont jusqu'à l'extrémité de leur passion, Kirilov et Stravoguine, Mme Graslin, Julien Sorel ou le prince de Clèves. C'est ici que nous perdons leur mesure, car ils finissent alors ce que nous n'achevons jamais. »
Camus reconnaît que le roman prend pour cadre la réalité, comme le souligne le choix de ses exemples. Les personnages cités appartiennent tous à des romans ayant un cadre historique précis. Il accorde un statut tout particulier au « héros ». Or, tous les personnages principaux de romans sont-ils extraordinaires ? De manière plus générale, ont-ils un destin, c'est-à-dire un parcours exceptionnel ?
[...] Bibliographie 1. Romans Balzac, Illusions Perdues, 1836-1843, édition de Patrick Berthier, Le Livre de Poche ; Le Père Goriot édition de Félicien Marceau et de Thierry Bodin, Gallimard Béroul, Tristan et Yseut traduction en français moderne de Philippe Walter, Le Livre de Poche Céline, Voyage au bout de la nuit édition de Stéfan Ferrari et d'Agnès Verlet, Folio Dostoievski, Crime et Châtiment traduction d'Élisabeth Guertik, Le Livre de Poche Flaubert, Bouvard et Pécuchet (posthume), édition de Claudine Gothot-Mersh, Folio ; Madame Bovary édition de Jacques Neefs, Le Livre de Poche Hugo, Les Misérables édition de Maurice Allem, Gallimard ; Notre-Dame de Paris édition de Marieke Stein, Flammarion ; Quatre-vingt-treize édition de Yves Gohin, Folio Laclos, Les Liaisons dangereuses édition de Michel Delon, Le Livre de Poche Navarre, Niagarak, Grasset Proust, Le Temps retrouvé, posthume, édition de Jean-Yves Tadier, Gallimard Stendhal, La Chartreuse de Parme édition de Fabienne Bercegol, Flammarion ; Le Rouge et le Noir dans Œuvres romanesques complètes. [...]
[...] Le monde romanesque n'est que la correction de ce monde-ci, suivant le désir profond de l'homme. Car il s'agit bien du même monde. La souffrance est la même, le mensonge et l'amour. Les héros ont notre langage, nos faiblesses, nos forces. Mais eux, du moins, courent jusqu'au bout de leur destin et il n'est même jamais de si bouleversants héros que ceux qui vont jusqu'à l'extrémité de leur passion, Kirilov et Stravoguine, Mme Graslin, Julien Sorel ou le prince de Clèves. [...]
[...] En effet, le héros romanesque peut apparaître comme une notion désuète. Genre le plus en prise avec le réel le roman rompt au XIXe siècle et plus encore au XXe siècle avec ses origines. Il n'y a guère de sens à célébrer un monde disparu, voire un monde irréel, n'entretenant plus aucun lien avec la société. Le héros épique fait donc place à anti- héros réaliste Dans Bouvard et Pécuchet, Flaubert a entrepris une œuvre pleinement réaliste. Il s'agit de prendre en compte la médiocrité du monde, et de la restituer sans l'embellir, autrement dit sans céder à la tentation d'un héros romanesque Le projet d'écriture de Flaubert est explicite dans sa correspondance : tout cela dans l'unique but de cracher sur mes contemporains le dégoût qu'ils m'inspirent. [...]
[...] Rodia se prosterne ainsi devant elle, symbole de toute la souffrance humaine Les destins du Père Goriot, de Fantine et de Sonia apparaissent uniques ; ces personnages ne sont insérés dans la réalité que pour la dépasser : Goriot se distingue des pensionnaires sans épaisseur de la pension Vauquer (Mademoiselle Michonneau et, plus encore, Poiret), Fantine s'oppose aux considérations viles des Thénardier (qui vendront leurs deux plus jeunes enfants), Sonia entre en antithèse avec son père, ivrogne fataliste, et sa belle-mère, se souciant uniquement des apparences (aristocrate déchue). Enfin, les héros romanesques se distinguent par leur caractère tragique. Ils ont un destin ; en d'autres mots, leur vie apparaît régie par une sorte de fatalité. Le destin de Fantine est tragique, noué dès l'instant où Javert connaît la véritable identité de M. [...]
[...] Charles, ayant appris l'adultère de sa femme, dit à Rodolphe : C'est la faute de la fatalité ! Il est tourné en ridicule par Flaubert Rodolphe, qui avait conduit cette fatalité [ . Madame Bovary). Plus encore, les propos de Camus marquent une confusion entre les deux acceptions de héros Or, la dichotomie entre personnage principal d'une œuvre et personnage exceptionnel est évidente. Stendhal la souligne explicitement dans La Chartreuse de Parme : Nous avouerons que notre héros était fort peu héros en ce moment 3). [...]
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