La critique s'est assez peu penchée sur la question de la clôture romanesque, comparativement à l'intérêt qu'a pu susciter « l'incipit ». Pourtant, la fin du roman, qui peut mettre en jeu à différents niveaux d'importance les derniers chapitres, les dernières pages, les derniers paragraphes, les derniers mots de celui-ci, joue, au moins symboliquement, un rôle aussi important dans l'économie du roman que le début : elle marque non seulement les derniers moments de l'immersion dans la lecture mais encore le commencement d'une conception globale de l'oeuvre.
Philippe Hamon, qui fut l'un des premiers à s'intéresser au sujet, considère dans Texte et idéologie la fin du roman comme étant « le lieu privilégié qui par rétroaction, donne sa signification, donc sa « valeur », au système entier du texte, [...] le point où est sanctionné [...] la valeur des personnages. » Ainsi, la fin du roman, du fait même qu'elle parachève la narration et donne leur destinée finale aux personnages, serait un des éléments les plus à même d'induire la compréhension de l'oeuvre, et par conséquent sa critique.
En quoi cet effort de théorisation de la fin du roman aboutit-il ? Ces propos de Philippe Hamon s'adaptent-ils à tous les types de romans, aussi différents puissent-ils êtres ?
Au premier abord, cette formule semble s'appliquer de façon très pertinente à un certain nombre de romans dont la narration pourrait être considérée comme « traditionnelle » (I). Cela étant, il convient de se pencher sur certains cas pour lesquels les choses semblent être moins évidentes (II). Nous verrons cependant en quoi ces propos portent une certaine part d'universalité, liée à l'acte de lecture lui-même (III).
I. Au premier abord, cette formule semble s'appliquer de façon très pertinente à un certain nombre de romans dont la narration pourrait être considérée comme « traditionnelle »
A. La plupart des romans sont construits par une intrigue structurée qui fait de la fin un moment important, attendu et propice à une réflexion sur l'oeuvre
Le roman est ordinairement défini comme une oeuvre en prose, d'une certaine longueur, due à l'imagination, et racontant une histoire dans laquelle prennent place des personnages (...)
[...] Toute fin de roman, en tant qu'aboutissement d'un parcours de lecture, n'est pas susceptible d'apporter un éclairage sur l'œuvre ? Qui plus est, il est légitime de se demander si toute fin de roman, en tant qu'aboutissement d'un parcours de lecture, n'est pas susceptible d'apporter un éclairage sur l'œuvre, même si celui-ci n'est pas explicite, ou même si l'auteur a volontairement cherché à ne pas conclure Les formes du roman sont, il est vrai, très diverses. Certains romans contemporains, on l'a vu, ne racontent rien et essayent de dépasser les concepts de début, milieu et de fin. [...]
[...] On prendra pour exemple la fin de Bel-Ami de Maupassant. Si Georges Du Roy y apparaît, alors qu'il sort de l'église où il vient de se remarier avec Madame Walter, d'un égocentrisme déplacé et d'une ambition sans limite Il sentait sur sa peau courir de longs frissons, ces frissons froids que donnent les immenses bonheurs. Il ne voyait personne. Il ne pensait qu'à lui [ ] Le peuple de Paris le contemplait et l'enviait ce n'est pas quelque chose que le lecteur découvre, loin de là. [...]
[...] L'auteur suggère des pistes d'interprétation de son œuvre et invite à des relectures attentives qui permettront de prendre la pleine mesure de la richesse de cette dernière. Il arrive que le plus haut sens cher à Rabelais et qui est toujours très important pour le lecteur, ne soit pas explicite ni même suggéré et que l'auteur semble au contraire volontairement brouiller les pistes Il fera alors l'objet de réflexions et de conjectures qui par l'intérêt de la recherche qu'elles suscitent donneront sa valeur au texte : c'est en partie vrai pour l'œuvre de Proust, cela l'est aussi, dans un tout autre style, pour nombre de romans noirs où les intrigues souvent fort complexes et où l'issue fréquemment ambiguë laisse de larges zones d'ombres derrière elle ou dans l'avenir. [...]
[...] Cependant, il est certains romans pour lesquels elle semble être au contraire un lieu ordinaire, voire banal. C'est par exemple le cas dans les romans, premiers du genre (le mot signifie à l'origine ouvrage écrit en langue romane de Chrétien de Troyes. La fin y clôt l'espace ouvert à la première page, elle est le dernier stade assez prévisible d'un processus, elle coïncide avec le retour à l'ordre. Au fond ce qu'il y a de plus intéressant dans ce genre d'histoire, ce ne sont ni le commencement ni la fin, mais ce qu'il y a au milieu. [...]
[...] En revanche, l'auteur suggère subtilement les ambitions de son héros Puis, relevant les yeux, il découvrit là-bas, derrière la place de la Concorde, la Chambre des députés. Et il lui semble qu'il allait faire un bord du portique de la Madeleine au portique du Palais-Bourbon. et semble suggérer que ses aventures vont poursuivre au-delà de la fin du roman. Le personnage de Bel-Ami et la fin du roman du même nom apparaissent ici comme l'antithèse du personnage de Frédéric et de la fin de L'Éducation sentimentale. III. Les propos de Philippe Hamon portent cependant une certaine part d'universalité, liée à l'acte de lecture lui-même A. [...]
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