Nana, Effi Briest et Tess d'Urberville présentent tous les trois les destinées malheureuses de leurs personnages éponymes, dévorés par une histoire sentimentale malheureuse et souvent mortifère. Les deux dernières, arrachées à leur condition par un mariage forcé ou un viol, deux formes de ravissements contraints, sont jetées en dehors de la société après la révélation d'une faute à leur époux, qu'elles soient la découverte d'une relation adultère sept ans plus tôt ou l'aveu de la virginité volée et d'un enfant mort en bas-âge. Marquées au fer rouge, Tess et Effie sont forcées de recommencer une vie loin de la présence masculine, dont l'une espère ardemment le retour et dont l'autre fuit la présence. Ces trois personnages féminins, en plus d'avoir en commun leur destin tragique et la mort finale qui les scelle, ont celui de pratiquer une forme différente d'art. Peinture, Chant ou Théâtre parsèment discrètement le récit dans le cas des deux premiers exemples, pour invoquer la figure de l'époux perdu, pour le rappeler à soi ou bien au contraire s'en arracher lorsque la pratique artistique a quelque chose de la mortification. L'intitulé se révèle plus subtil quand l'on pénètre activement dans les romans : l'idée de portrait suppose la présence surplombante d'un auteur qui se joue de son héroïne féminine, alors même qu'il lui donne à elle-aussi le statut d'artiste et donc, hypothétiquement, de figure créatrice alors même que ces femmes se révèlent tentatrices, pécheresses, meurtrières et surtout malheureuses.
[...] Posséder un savoir-faire que les autres n'ont pas, c'est précisément ce qui distingue l'artiste des autres individus. Il doit se faire médiateur entre les mystères de la création et le reste de la société et comme étranger à lui-même. C'est Effi, tout particulièrement, dans le roman de Fontane, qui révèle les méandres de son imagination et comment elle est capable de sentir ce que les autres ne peuvent pas. Son expérience du monde de l'au-delà, à ce titre, est essentielle. Dès son arrivée, elle associe le vestibule à une image d'intérieur persan qu'elle a vu dans un « livre d'images » (p 77) ; « Je n'ai encore rien vu ni entendu qui ne m'ait jetée dans l'étonnement ; déjà hier soir, ce curieux bateau dans le vestibule et le requin, et le crocodile, et maintenant ta chambre. Tout cela sent tellement l'Orient, comme chez mon prince indien (...) et là-haut, la salle aux longs rideaux qui balaient le plancher » (p 79). En s'attardant sur la décoration du vestibule (qualifiée plus tard de « hantises » tirées par des fils), elle montre sa perception hors du commun et c'est pourquoi, avant même qu'on lui fasse le récit de l'événement dramatique qui s'est déroulé dans la grande salle, elle a déjà entendu les bruits de pas, ainsi que le froissement d'une traîne de mariée sur le plancher.
[...] L'image du fardeau est essentielle dans le roman d'Hardy : il répète inlassablement comme son héroïne est aveugle aux mauvais présages qui s'accumulent devant ses yeux. Le « meurtre » initial du cheval, le chant mortifère du coq à son départ de la ferme en tant que jeune mariée, le son de la carriole des Urberville, les portraits accrochés dans leur maisonnette de noces et qui viennent hanter les rêves des dormeurs... Hardy entrelace la condition féminine de celle d'artiste, sans en employer pourtant le terme clairement, peut-être précisément parce que cette ambition féminine a quelque chose de si naturel qu'elle se passe bien de cette appellation. « L'artiste au féminin », alors, périphrase mettant en avant le qualificatif habituellement masculin pour s'interroger sur les spécificités du modèle de l'autre sexe, est une femme sauvage, issue de la nature dont elle arrive à percevoir la beauté, sans avoir besoin d'avoir été éduquée à ses charmes (Tess : « Un homme qui travaille aux champs y est une personnalité distincte ; une femme s'y confond ; elle est, pour ainsi dire, sortie d'elle-même ; elle est comme imprégnée de l'essence de ce qui l'entoure ; elle s'y est assimilée », p 119). (...)
[...] C'est Effi, tout particulièrement, dans le roman de Fontane, qui révèle les méandres de son imagination et comment elle est capable de sentir ce que les autres ne peuvent pas. Son expérience du monde de l'au-delà, à ce titre, est essentielle. Dès son arrivée, elle associe le vestibule à une image d'intérieur persan qu'elle a vu dans un livre d'images 77) ; Je n'ai encore rien vu ni entendu qui ne m'ait jetée dans l'étonnement ; déjà hier soir, ce curieux bateau dans le vestibule et le requin, et le crocodile, et maintenant ta chambre. [...]
[...] Nana, en effet, ne cherche pas par sa pratique artistique à communiquer plastiquement et symboliquement une vision du monde autre que la sienne, et le choix du théâtre, comme mise en scène de soi, montre comme l'art n'est plus qu'une technique, un moyen, mis au service de son enrichissement. La chronique de Fauchery, à ce titre, révèle les deux postulations de Nana : deux colonnes très chaudes, d'une méchanceté spirituelle pour l'artiste et d'une brutale admiration pour la femme 62). [...]
[...] Soulignant par le choix de son sujet de prédilection que la femme n'est rien d'autre qu'un objet dont le corps est avant tout tourné vers autrui et non vécu pour soi, elle affuble aussi toutes ses sculptures du surnom de Nana dénomination qui en plus d'être générique, propose une belle ligne de fuite avec notre sujet. Le personnage de Zola, lui-aussi, est sculptural. Nana demande avec bonheur d'être le personnage de la Nuit dévoilée par le Faune lubrique (figure- miroir de Fontan) pour figurer aux pieds de son lit. [...]
[...] Ainsi, Effi joue la comédie pour ne pas avoir à retourner à Kessin, Nana se fait tragédienne quand elle montre Fontan dans son lit pour faire fuir d'autres hommes . l'artiste au féminin semble être une identité mouvante pour ces femmes qui sont forcées de dissimuler un mensonge qui pourrait tout faire basculer. Il est particulièrement intéressant de voir comment le théâtre devient pour elles un mode d'existence et non un passe-temps. La définition qui veut que l'artiste soit interprète d'une œuvre prend ici une bien triste occurrence : celles de femmes devenues artistes parce qu'elles sont forcées de jouer la comédie afin de conserver les apparences. [...]
[...] Son succès est pourtant consommé alors que tous lui envoient des fleurs et des présents, désireux de se faire aimer par celle qui incarne une féminité non dégrossie, très animale alors que ses effluves sont un motif persistant dans tout le roman. Si Nana n'est pas artiste, au sens où elle n'a pas la maîtrise de son art théâtral et n'y voit pas là un savoir-faire (elle quitte en effet Mélusine après seulement trois représentations, fait régulièrement se terminer plus tôt les pièces car elle saute des passages et soutient que c'est toujours trop bon pour ce tas d'imbéciles p 112), c'est précisément parce que l'univers de la courtisane et de la femme de théâtre ne sont en rien séparés et participent activement dans les deux cas à sa propre édification. [...]
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