« La lucidité est un des caractères souverains de l'humanité racinienne. Il n'est pas un personnage de Racine en qui la violence et la souffrance abolissent un seul instant l'acuité du regard intellectuel. Ces êtres tendus durant cinq actes vers le but et la catastrophe trouvent dans la crise tragique l'occasion d'un perpétuel approfondissement d'eux-mêmes. » Dans quelle mesure ce propos de Thierry Maulnier dans son Racine répond-il à votre lecture de Bérénice ?
[...] », « Ton coeur te promet-il . ? ». Presque toutes les tirades de la pièce ont pour objet l'examen de conscience du personnage qui s'exprime. L'enjeu est énoncé dès le départ, c'est celui de Titus : il faut choisir entre le pouvoir et l'amour. Pour Antiochus, secondairement, entre avouer ou non son amour pour Bérénice. Quant à Bérénice, elle est taraudée tout au long de la pièce par la question : « m'aime-t-il toujours ? ». (« Tous mes moments ne sont qu'un éternel passage/ De la crainte à l'espoir, de l'espoir à la rage. [...]
[...] T'es-tu bien consulté ? / Ton coeur te promet-il assez de cruauté ? », etc. Ce monologue de cinquante-quatre vers ne comporte pas moins de vingt-huit questions. Comme Antiochus, Titus se parle à lui-même en se nommant par son prénom : « Hé bien, Antiochus » - « Hé bien, Titus » : tous deux s'interpellent eux-mêmes pour se livrer à un examen de conscience, et Titus se tutoie : « Où viens-tu ? », « T'es-tu bien consulté ? [...]
[...] Le statut de chacun est différent. Investi de la lourde fonction d'Empereur, Titus est déchiré entre une Loi implacable et son sentiment intime, entre les positions d'homme de pouvoir et celle d'amant ordinaire et heureux ; Bérénice, elle, se berce longtemps d'illusions et est entièrement dominée par sa passion. Elle apparaît, pendant la majeure partie de la pièce, comme la victime inconsciente de la loi romaine et du silence de Titus, qui ne parvient pas à lui annoncer la vérité ; Antiochus a plus un rôle de figurant : il assiste impuissant à la force d'un amour qui l'exclut. [...]
[...] Il serait donc possible de nuancer le propos de Thierry Maulnier. Il a raison d'affirmer que « la lucidité est un des caractères souverains de l'humanité racinienne. » Mais dans Bérénice, elle atteint le point où elle devient le sujet unique de la pièce. On y trouve, certes, beaucoup de souffrance, comme dans les autres pièces de Racine, mais peu de violence. La « catastrophe » est évitée, la « crise tragique » finale habituelle est gommée par le personnage rédempteur de Bérénice, porteuse, grâce à ses qualités de fidélité au bonheur et à l'honneur, de la lucidité la plus extrême , celle qui oppose la paix à la tragédie et libère les humains de leurs passions. [...]
[...] Quel fruit me reviendra d'un amour téméraire ? / . Hé quoi ? Souffrir toujours un tourment qu'elle ignore ? / Quoi ? même en la perdant redouter son courroux ? », etc. Bérénice à son tour, dans la scène 1 de l'acte se torture de questions : « Parle. N'ai-je rien dit qui lui puisse déplaire ? / Que sais-je ? . / N'est-ce point que de Rome il redoute la haine ? [...]
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