Lorsque Montesquieu écrit en 1721, les Lettres Persanes, l'époque est marquée par l'émergence de valeurs nouvelles influencées par le cartésianisme. La référence suprême qui revisite tous les domaines est donc la raison sous laquelle naît l'esprit critique de la philosophie des lumières. C'est sans doute ce qui fait dire à Henri Coulet que cet ouvrage est un roman philosophique, excluant la dimension romanesque de l'œuvre à cause de la dominance de la raison sur le cœur.
Cependant, ne serait-il pas réducteur de s'en tenir à cette seule considération car si l'ouvrage peut être perçu comme les prémices de L'esprit des Lois, c'est également de la forme romanesque que naît l'impact de son message particulier.
[...] Mis en déroute dans sa quête philosophique, il est également dépassé par ses sentiments d'impuissance et de jalousie nés de la perte de son statut de maître au sérail. De plus, si l'on considère la possession d'un harem comme une marque de rang social chez les Orientaux, Usbek en exil à l'occident n'a plus aucun autre statut que celui d'un étranger. Le seul pouvoir qui lui reste étant en effet celui de diriger ses femmes à distance sans même pouvoir en profiter. [...]
[...] L'auteur dira lui-même dans Mes Pensées : Mes lettres persanes apprirent à faire des romans par lettres En effet, malgré la composition épistolaire qui pourrait ne permettre qu'un simple échange d'informations et d'opinions entre des personnages, la présence d'une intrigue romanesque élaborée permet au lecteur de suivre le fil d'une histoire divertissante. Montesquieu exprime d'ailleurs cette idée dans Quelques réflexions sur les lettres persanes : Rien n'a plu davantage, dans les Lettres persanes, que d'y trouver, sans y penser, une espèce de roman. [...]
[...] Mais si la technique romanesque se fait effectivement vectrice d'une réflexion philosophique sur les fondements de l'organisation du pouvoir occidental, elle ne peut malgré tout, être considérée comme l'unique support dogmatique de la raison. La multiplicité des regards ne peut en effet trancher en faveur d'un seul jugement subjectif, et la chaîne de la narration qui mêle aussi les intrigues, offre un regard humain sur l'évolution des personnages. Outre la critique pure et l'ironie, c'est la diversité des réflexions qui font la richesse philosophique de cet ouvrage. [...]
[...] Ainsi que le montre cette analyse, les Lettres persanes sont élaborées selon les règles du roman à travers une intrigue et un cadre vecteur d'intérêt et de plaisir. D'autre part, la quête philosophique, objet du voyage des Persans, la caractéristique du regard naïf, et le genre épistolaire qui permet à l'auteur d'introduire divers styles littéraires, étendent la portée de l'histoire à une vision critique et philosophique de la société. Mais si l'ouvrage constitue une invitation à réfléchir, elle est avant tout la démonstration d'une raison souvent subjective et impuissante face à la réalité humaine. [...]
[...] En effet, si les Persans sont dépaysés, ils ne peuvent ignorer le pouvoir exercé par tout roi et sa cour puisque Usbek lui-même est contraint à l'exil pour s'être attiré la jalousie de ses ministres dont il connaît donc l'influence. Aussi le procédé romanesque peut-il être compris ici comme l'unique instrument de la satire qui a pour but de faire réfléchir les Occidentaux sur l'image réelle de leur société vue par un homme libre de leurs préjugés culturels. Cette réflexion sur le pouvoir se déroulera ainsi tout au long du roman, notamment dans la lettre 37 d'Usbek à Ibben pour un nouveau portrait du roi décrit à travers ses contradictions ainsi que de nombreux examens du système légal et culturel de la France comme l'Académie française dans la lettre 73, le rôle des tribunaux dans les affaires familiales intimes dans la lettre 86, l'absurdité du duel imposé par l'honneur et puni par la loi dans la lettre 90, la corruption du droit public dans la lettre 94 et bien d'autres encore. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture