Insaisissable, telle est sa nature. Que de philosophes ont pourtant essayé de la définir ! Tantôt immortelle, tantôt éphémère ; tantôt une, tantôt multiple ; tantôt personnelle, tantôt collective ; « chose pensante » (Descartes) ou « fleur de la matière » (Gassendi), l'âme n'a cesse d'intriguer et de concentrer myriades d'antagonismes. Ses conceptions s'élaborent, puis naviguent, se contredisent, sombrent et renaissent au gré des cultures et des siècles… Ces divergences, qui s'enrichissent plus qu'elles ne se détruisent, peuvent se figurer à l'image de la structure interne des Fables de Jean de La Fontaine (1621-1695). Il se plaît souvent, en effet, à nuancer ses propos, à renchérir ou à prendre un habile contre-pied d'un apologue à l'autre. L'analogie n'a-t-elle d'ailleurs pas été déjà explicitée par cet illustre auteur, dans sa préface, à savoir que « l'Apologue est composé de deux parties, dont on peut appeler l'une le Corps, l'autre l'Âme. Le Corps est la Fable ; l'Âme la Moralité » (Fables Préface La Fontaine) ? Cette comparaison met par ailleurs en lumière la puissance du dualisme et le vif intérêt porté au XVIIe siècle sur la notion d'âme.
La Fontaine prend pour sa part position sur une problématique sous-jacente, mais intimement liée, l'âme des bêtes, dans son élogieux premier Discours à Madame de La Sablière. Cette dissertation philosophique, éditée pour la première fois en 1678, émet une critique virulente à l'égard du cartésianisme et de sa théorie de l'animal-machine ; La Fontaine s'oppose à cette vision réductrice de la bête, en leur accordant une âme particulière, une âme corporelle. Le choix de sa dédicataire n'est en outre pas fortuit : d'une part, il s'agit de remercier Marguerite Hessein, dite Madame de La Sablière, qui prend La Fontaine sous son aile : amie et protectrice, cette haute bourgeoise l'accueille chez elle de 1672 jusqu'à sa mort, en 1693. D'autre part, c'est grâce au cercle philosophique et littéraire, centré autour de cette femme de lettres, que La Fontaine est immergé dans les débats métaphysiques de son temps. Ainsi, et à l'instar de nombre de ses fables peignant la société du Grand Siècle et inspirées de faits divers, le débat sur la nature et les fonctions de l'âme des bêtes exposée dans le Discours à Madame de La Sablière est issu de cette docte imprégnation. De fait, cette controverse est on ne peut plus actuelle aux alentours de 1675 et jaillit comme une résurgence, moins profonde et savante, plus scientifique et mondaine, d'une divergence déjà ancienne entre René Descartes (1595-1650) et Pierre Gassendi (1592-1655). Et le théologien jésuite Pardies (1636-1673) d'affirmer sur cette question doctrinale qu'« elle fait aujourd'hui le sujet des plus grandes contestations des philosophes » (Discours de la connaissance des Bestes, Gaston Pardies 1672).
[...] En second lieu, et pour comprendre la manière dont ces doctrines ont pénétré la pensée de La Fontaine, il faut se pencher sur le Discours à Madame de La Sablière qui concentre la position de notre auteur. Ce magnifique panégyrique fait partie intégrante du second recueil des Fables dont il clôt le neuvième livre. Abordons l'analyse par la mise en évidence de son articulation. Tout d'abord, La Fontaine initie son texte par l'envoi et offre un encens (Discours à Madame de La Sablière, La Fontaine, vers fleuri à Iris (ibid. [...]
[...] La réflexion s'oppose dès lors à la pensée et constitue, selon les Gassendistes, la différence entre l'homme et l'animal. «Vous savez, Iris, de certaine science, / que, quand la bête penserait / la bête ne réfléchirait / sur l'objet ni sur sa pensée» (ibid. vers 62-64) précise La Fontaine. Établissons en outre le parallèle avec Bernier, qui soutient que les animaux ne peuvent pas raisonner et réfléchir sur leurs propres raisonnements (Abrégé de la philosophie de M. Gassendi, François Bernier). [...]
[...] De fait, cette controverse est on ne peut plus actuelle aux alentours de 1675 et jaillit comme une résurgence, moins profonde et savante, plus scientifique et mondaine, d'une divergence déjà ancienne entre René Descartes (1595-1650) et Pierre Gassendi (1592-1655). Et le théologien jésuite Pardies (1636-1673) d'affirmer sur cette question doctrinale qu'«elle fait aujourd'hui le sujet des plus grandes contestations des philosophes (Discours de la connaissance des Bestes, Gaston Pardies 1672). Quelles sont précisément ces contestations et comment Jean de La Fontaine se positionne-t-il ? [...]
[...] Pour y parvenir, il subtilisera un morceau de matière (Discours à Madame de La Sablière vers 207) pour obtenir une quintessence d'atome, extrait de la lumière (ibid. vers 209) subtiliser signifie dans ce contexte rendre plus subtil, à savoir plus léger, plus éthéré, de même que l'« on tire par distillation ce qu'il y a de plus subtil dans les corps (Richelet, référence de LA FONTAINE Œuvres complètes I Fables et Contes, Bibliothèque de la Pléiade Edition Gallimard 1991, p.1245). [...]
[...] Au titre évocateur, cet apologue révèle qu'une fable capte mieux l'attention que n'importe quel exposé, aussi juste soit-il : l'assemblée, / par l'Apologue réveillé, / se donne entière à l'orateur (Fables Le Pouvoir des fables La Fontaine livre VIII vers 61-63). Ainsi, l'usage des fables dans le Discours concrétise cette théorie, et La Fontaine sait parfaitement l'exploiter. Toutefois, en regard de cette technique argumentative reposant sur la fable se dresse la question de savoir si les arguments raisonnables, le parler- vrai, est efficace à convaincre. Dans le Discours, en effet, les expositions philosophiques sont entièrement véridiques, elles présentent de réelles positions. [...]
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