« Je remarquai […] que quand il parlait de choses sérieuses, quand il employait une expression qui semblait impliquer une opinion sur un sujet important, il avait soin de l'isoler dans une intonation spéciale, machinale et ironique, comme s'il l'avait mise entre guillemets, semblant ne pas vouloir la prendre à son compte. » (Du côté de chez Swann, Proust)
Swann semble employer sans s'en rendre compte une variante du discours indirect libre adapté à l'oral, et qui utilise l'intonation pour indiquer le basculement du point de vue, afin d'indiquer que c'est un autre qui parle pour mieux se dédouaner de ces paroles, même s'il reste cependant clair qu'il a son opinion personnelle sur ce qu'il cite, ironique ou distante.
Sous sa forme littéraire, le discours indirect libre n'est évidemment pas signifié par l'intonation différente, mais il conserve le même principe: c'est une représentation des paroles et de la pensée d'un individu (d'un personnage dans un cadre plus particulier) par l'intermédiaire du locuteur (ou du narrateur). Il y a donc un changement de point de vue.
Mais contrairement aux autres formes de discours rapporté, le discours indirect libre n'a pas vertu à être rigoureux, et c'est pourquoi il se prive des guillemets : il ne fait qu'exprimer des paroles (ou des pensées) de façon à les mêler au discours du locuteur, ce qui tend à parfaitement intégrer ce discours au récit et ainsi à ajouter de la fluidité au propos, mais peut-être également à contaminer le discours rapporté par le locuteur, puisqu'il y a alors une immixion du point de vue du locuteur dans la parole rapportée, et c'est là ce qui nous intéressera, car nous nous demanderons en quoi le discours indirect libre pose le problème de la paternité du discours. Ainsi le discours indirect libre, puisqu'il ne représente aucune réalité énonciatrice, mais appose au contraire la marque du locuteur (du narrateur), ne serait-il finalement qu'un « style » (style indirect libre)?
[...] Emma Bovary : Mais s'il y avait quelque part un être fort et beau, une nature valeureuse pourquoi, par hasard, ne le trouverait-elle pas ? Oh, quelle impossibilité ! Rien d'ailleurs ne valait la peine d'une recherche, tout mentait ! En retraçant le parcours de pensée d'Emma Bovary, le narrateur n'a ainsi pas pour objectif de rester fidèle à celle-ci en collant le plus à la réalité de sa démarche intellectuelle, mais vise plutôt à souligner l'indécision patente et la force des passions qui sont le propre d'Emma. [...]
[...] C'est donc là tout le paradoxe du discours indirect libre : même si la polyphonie semble mêler le discours du narrateur et celui du personnage, il n'en est rien et le discours indirect libre marque au contraire la distance entre les deux, que ce soit une distance purement physique (par exemple temporelle, comme on l'a vu avec le narrateur qui fait parfois s'exprimer le petit Marcel qu'il n'est plus à travers lui) ou alors une mise à distance, à travers l'ironie ou l'exhibition cruelle et sans détours des pensées du personnage, livrées brutalement et sans concession. On fait croire que l'avis de l'autre compte, mais ce n'est que pour regarder celui- ci avec condescendance, pour marquer en négatif son propre point de vue. Ainsi, le discours indirect libre est la forme de citation la plus personnelle, mais également la plus malhonnête qui soit. [...]
[...] Comme j'aurais donné tout cela pour pouvoir pleurer toute la nuit dans les bras de maman ! Les déictiques renvoient au présent dans une phrase au passé simple ou à l'imparfait j'étais maintenant 2 Temporalité et temps grammatical du discours indirect libre C'est donc surtout à travers le temps grammatical que le discours indirect libre peut être distingué. En effet, le style indirect libre ne se manifeste pas surtout par un changement dans les verbes ou les adjectifs (par exemple si le lexique n'est pas argotique), mais par une modification de la grammaire du discours rapporté. [...]
[...] La discussion, elle le savait, ne pouvait pas durer. le manque d'information à ce propos est également fréquent et peut ajouter à la confusion. Le discours indirect libre est donc également un acte de non-communication, et c'est là que la marge du narrateur est la plus grande, dans ces pensées qui permettent toutes les interprétations: L'Education sentimentale de Flaubert (un grand amateur de discours indirect libre) : Jamais Frédéric n'avait été plus loin du mariage. D'ailleurs, Mlle Roques lui semblait une petite personne assez ridicule Puisque la phrase n'est jamais prononcée, il est parfois tentant de voir là une intrusion de l'auteur, qui lui permet de commenter les événements en cours sous couvert d'un autre personnage. [...]
[...] A partir du moment où celui-ci, même s'il est omniscient, s'immisce dans le récit (et Flaubert, même si cela va à l'encontre de son idéal, le fait souvent), il rompt l'objectivité de départ et ne peut plus se contenter de montrer, car il ne faut cependant pas confondre le point de vue et l'instance d'énonciation (qui parle (Emma Bovary, Flaubert, grand amateur de discours indirect libre) : Après un rendez-vous entre Emma et Léon Un jour qu'ils s'étaient quittés de bonne heure, et qu'elle s'en revenait seule par le boulevard, elle aperçut les murs de son couvent ; alors elle s'assit sur un banc, à l'ombre des ormes. Quel calme dans ce temps-là ! Comme elle enviait les ineffables sentiments d'amour qu'elle tâchait, d'après des livres, de se figurer ! [...]
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