Au XVIe siècle, les intellectuels et les écrivains s'intéressent à la volonté d'élargir le champ de la connaissance, de revenir aux sources antiques et de s'en nourrir pour les dépasser. Ronsard, dans son recueil des Amours, publié pour la première fois en 1552, obéit à ce qui fait figure en France d'engouement pour une nouveauté : il transforme l'amant poète en un véritable mythe littéraire. Quant à Montaigne, à la première publication de ses Essais en 1580, son projet d'écriture réside dans l'expression de ses pensées, mais aussi de leur évolution dans le temps. Il est, selon sa propre expression, « consubstantiel à son auteur ». L'écriture est avant tout une expérience, elle n'assène pas des certitudes, mais tout au contraire, elle met les idées reçues à l'épreuve, au risque de devoir les nuancer. Elle est donc, à l'image de la vie, une aventure, et l'auteur lui-même ne sait pas toujours où elle le mènera (...)
[...] A la blessure causée par l'Amour correspond un piquant de l'écriture, à la beauté de la dame la douceur des vers. Il y a donc un paradoxe entre l'amour et ses conséquences sur le style des vers. Ronsard raconte la poésie française. L'émulation est réciproque entre la passion et les mots. Les relations entre la poésie et l'amour expliquent que, dans ses recueils amoureux, Ronsard réfléchisse fréquemment à la question du style. Ainsi, l'amour pour Cassandre et rapproché du style grave. [...]
[...] Le langage et le sentiment amoureux partagent ainsi des similitudes qui permettent aux auteurs de rapprocher ces deux entités. Cependant, il n'en reste pas moins que l'expression parvient souvent difficilement à atteindre la réalité d'un sentiment qui se vit, non pas qui se décrit. La littérature française a longuement, au fil des siècles, développé ce mythe de l'inexprimable en amour. Cet au-delà du langage a toujours ébloui les Classiques qu'ils appelaient le je ne sais quoi Madeleine de Scudéry, par exemple, disait que l'amour est un je ne sais quoi qui vient je ne sais où et qui finit je ne sais comment (extrait du Choix de pensées.) Il peut s'agir pour nos deux auteurs de se référer essentiellement au monde réel qui les entourent, ou bien de se créer un propre univers d'inspiration poétique. [...]
[...] L'expression du sentiment amoureux reste donc, pour nos deux auteurs, un travail qui n'est pas toujours simple. Cependant, ils s'accordent tous deux à dire que c'est de ce sentiment que peut naitre l'écriture. L'amour est le guide de l'amant en poésie. Ronsard, qui fait fréquemment allusion à son art de poète dans ses vers, l'affirme résolument : Quand je suis amoureux, j'ai l'esprit et la voix, L'invention meilleure et la Muse plus forte (Sonnets pour Hélène, II, 68). Il y a donc un lien fort unissant la parole et la passion. [...]
[...] Ses sonnets se fondent largement sur des lieux communs, topiques du discours amoureux depuis l'Antiquité. Le principe structurant de l'imitation laisse une place restreinte à l'expression sincère et singulière du moi amoureux. Ce qui est raconté comme une anecdote unique est le plus souvent tiré d'une liste de situations exemplaires exploitées par d'autres poètes que Ronsard. Montaigne, lui, ne reproduit pas un schéma de composition préexistant, il ne suit que son propre style : Quand j'écris, je me passe bien de la compagnie et souvenance des livres : de peur qu'ils n'interrompent ma forme Il n'a pas d'autre souci que celui de se peindre, avec la plus grande sincérité possible : Je ne vise icy qu'à descouvrir moy mesme Montaigne est un gentilhomme qui souffre de ne pas apparaitre d'emblée comme tel ; il est une conscience curieuse de soi, et qui souffre de n'être jamais assez connu. [...]
[...] Chez nos deux auteurs, l'expression de l'amour, ou discours amoureux passe par l'utilisation de figures qui leur sont propres et ils ont chacun leur expression personnelle de l'amour et de ses manifestations. Ronsard, pour exprimer son amour, utilise par exemple dans ses poèmes la figure de la dédicace. A Cassandre, Marie et bien plus tard à Hélène, il offre des poèmes célébrant leur personne. Ainsi, le discours amoureux passe par l'énonciation concrète du destinataire, qu'il n'hésite pas à nommer (à Cassandre : Je voudrais bien richement jaunissant En pluie d'or goutte à goutte descendre Dans le giron de ma belle Cassandre, Lors qu'en ses yeux le somme va glissant Premier Livre des Amours ; à Marie : Marie, tout ainsi que vous m'avez tournée Second Livre des Amours, I ; et enfin à Hélène : Mon maître Amour m'envoie à grands coups de carquois Rassiéger Ilion pour conquérir Hélène Sonnets pour Hélène, II, 10). [...]
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