Ecrivain au statut de polygraphe et directeur de L'Encyclopédie, Diderot voulait, dans cette oeuvre qui a été majeure dans sa vie et l'a occupé pendant plus de vingt ans, réunir l'ensemble des connaissances et s'attaquer aux différentes institutions de son temps grâce à l'usage de la raison. Face à l'esprit qui est le sien dans cette entreprise, il ne paraît dès lors pas surprenant de trouver dans un manuscrit du philosophe découvert en 1937 et publié sous le titre de Pages contre un tyran une phrase telle que « tout mensonge attaqué est détruit et détruit sans ressource : toute vérité prouvée l'est à jamais ». Cette affirmation, qui pose un constat, qui résonne comme une règle qui serait applicable à chaque type de mensonge et de vérité, apparaît très catégorique et laisse à supposer qu'il est possible d'éliminer un mensonge et qu'une vérité à la fois inaliénable et universelle existe. De plus, les deux points suggèrent que la destruction d'un mensonge entraîne inévitablement à la révélation d'une vérité. Ce point de vue peut sembler quelque peu idéaliste. Il s'insère néanmoins dans l'esprit d'un temps où trouver le vrai apparaissait indispensable. De plus, il est également à noter que Diderot a écrit cette phrase pour défendre une oeuvre du Baron d'Holbach contre ses détracteurs ; ce contexte implique un ton à la fois virulent et résolu. Cette formule, qui s'inscrit dans une oeuvre destinée à montrer l'opposition de Diderot à tout exercice tyrannique du pouvoir, peut-elle dès lors trouver quelques fortes illustrations dans le Supplément au voyage de Bougainville ? Ce texte, qui est un dialogue philosophique, est pour l'écrivain l'occasion d'ébranler nombre de certitudes ancrées dans les moeurs occidentales, ce qui implique que les notions de mensonge et de vérité y soient mises en question. Ces deux notions peuvent cependant toucher différents éléments et recouvrir différents domaines : du matériel, jusqu'au domaine métaphysique, qui est plus profond et plus difficilement accessible. Comment le mensonge et la vérité sont-ils alors envisagés dans le Supplément ? Quelle place occupent-ils dans le récit, et, surtout, quel traitement leur accorde Diderot ? Celui-ci se révèle avoir une position contradictoire dans son oeuvre. En effet, il refuse a priori d'affirmer une vérité précise, tout en remettant en cause les institutions et les caractères qui lui sont contemporains, ce qui l'engage à traiter de façon plus ou moins précise la question du vrai et du faux. (...)
[...] Ce point est souligné par une série de questions rhétoriques, quand finirons nous de travailler ? Quand jouirons- nous ? qui conduisent elles-mêmes à une conclusion qui semble relever du bon sens et apparaît dans cette mesure acceptable : nous avons rendu la somme de nos fatigues annuelles et journalières la moindre qu'il était possible, parce que rien ne nous paraît préférable au repos Il démontre ici une certaine vérité métaphysique, mais son exposé perd néanmoins de sa crédibilité à cause du ton agressif et menaçant qu'emploie le personnage. [...]
[...] Diderot ne détruit ainsi de mensonges ni n'affirme de vérités définitives dans le Supplément au voyage de Bougainville. Il ébranle cependant les certitudes qui sont en place à son époque et dément ou affirme différents éléments pour montrer que les notions de vérité et de mensonge sont subjectives et dépendent à la fois de la personne et du lieu où elles sont considérées. Il refuse toutefois de se comporter comme un maître et d'offrir une ligne de conduite à suivre, ce qu'impliquerait la destruction définitive d'un mensonge ou l'affirmation d'une vérité universelle. [...]
[...] Toutefois, affirmer que la formule écrite par l'auteur dans Pages contre un tyran trouve dans le Supplément quelques fortes illustrations, cela paraît hasardeux dans la mesure où Diderot ne se veut pas, dans cette œuvre, aussi radical, ce qui n'était pas le cas dans Pages contre un tyran qui, à l'origine, avait été écrit pour défendre un texte du Baron d'Holbach et se voulait, en l'occurrence, nécessairement plus virulent. Le Supplément au Voyage de Bougainville se présente avant tout comme un dialogue philosophique ; la différence de contexte et de tonalité peut ici expliquer que cette formule ne trouve pas quelques fortes illustrations dans ce texte. [...]
[...] Il remet en outre le postulat selon lequel toute vérité prouvée l'est à jamais : une vérité peut être prouvée, mais toutes ne le sont pas nécessairement à jamais Mais l'on peut, au-delà, se demander si Diderot a réellement comme intention de formuler des vérités sur lesquelles il serait impossible de revenir et de détruire sans ressource le mensonge dans son Supplément. L'écrivain choisit en effet par le biais de son œuvre de confronter le lecteur à deux univers différents : celui, utopique, de Tahiti, qui représente un idéal, et celui connu de ses contemporains, l'occident. Ces deux univers entrent particulièrement en relation dans les dialogues entre Orou et l'aumônier. [...]
[...] De plus, seuls les mensonges ou vérités relevant du domaine matériel apparaissent pouvoir être détruits ou prouvés à jamais : cela restreint le tout de la formule à une application bien pauvre. CONCLUSION. Ainsi le Supplément au voyage de Bougainville a-t-il bien comme problème central le thème du mensonge et de la vérité, ceux-ci pouvant prendre plusieurs formes et étant débattus fréquemment dans l'œuvre. Diderot refuse cependant d'affirmer une vérité universelle dans ce texte, cela bien qu'il s'emploie à remettre en question les certitudes qui pouvaient être celles de ses contemporains et qu'il s'interroge souvent sur la question du vrai et du faux. [...]
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