Rimbaud se trouve à l'orée de ce que nous avons pris l'habitude de nommer avec Baudelaire la modernité, et Jacques Dupin en est à l'autre extrême, puisqu'il écrit encore. La particularité manifeste de cette modernité est que nous avons peine à en sortir. Cela semblerait logique, puisque le moderne, c'est le contemporain, et qu'il est difficile de sortir du contemporain... Mais que dire d'un contemporain qui dure depuis presque un siècle et demi ? Depuis Baudelaire, et donc à peu près dès l'origine, le terme de modernité a signifié, en même temps que le contemporain, tout ce qui dans ce contemporain parait singulier, inédit, nouveau. Comment caractériser, donc, cette modernité singulière ? Il semble qu'en littérature et particulièrement en poésie, elle puisse être envisagée comme un temps où se pensent de manière problématique, c'est-à-dire entrent en crise, les trois grands moments de l'écriture : le sujet, le langage, le monde. L'histoire de la modernité, au moins en poésie, semble celle de l'interrogation de ces notions. Non seulement leurs rapports seront sans cesse évalués ou réévalués, mais chacune de ces notions se verra elle-même questionnée de façon radicale. Et c'est par le questionnement du sujet que s'ouvre la crise, notion première entre les trois car en quelque sorte elle fédère les deux autres, mais il semble difficile d'interroger l'une de ces notions sans que les deux autres soient aussitôt aspirées dans la réflexion.
[...] ] dénude les cratères de sa famine L'opération poétique est donc une accentuation et une mise au jour de la famine dont elle procède. Rimbaud se heurtait à une impossibilité. Dupin fait de cette impossibilité le principe de l'écriture, l'écriture devient préservation et creusement de la faim, car c'est la faim qui, malgré l'impossibilité dans laquelle se trouve l'homme de la satisfaire, maintient l'ouverture à l'inconnu : Mais sa violence, sa faiblesse et son incohérence ont pouvoir de s'inverser dans l'opération poétique et, par un retournement fondamental, qui le consume sans le grandir, de renouveler le pacte fragile qui maintient l'homme ouvert dans sa division, et lui rend le monde habitable. [...]
[...] La particularité manifeste de cette modernité est que nous avons peine à en sortir. Cela semblerait logique, puisque le moderne, c'est le contemporain, et qu'il est difficile de sortir du contemporain . Mais que dire d'un contemporain qui dure depuis presque un siècle et demi ? Depuis Baudelaire, et donc à peu près dès l'origine, le terme de modernité a signifié, en même temps que le contemporain, tout ce qui dans ce contemporain parait singulier, inédit, nouveau. Comment caractériser, donc, cette modernité singulière ? [...]
[...] Le décentrement accompli par le JE est un autre affecte le monde, le transforme, ou plutôt modifie ce qu'il est possible d'y voir. L'objectivation et la neutralisation du JE vont modifier la qualité de l'attention portée au monde, transformer le regard qui se tourne vers lui. Le monde ne sera plus envisagé en tant que pouvant être intégré à la subjectivité par l'écriture, mais sera pris comme tel, objet extérieur, lieu d'une radicale altérité. Une fois le sujet décentré, une fois le principe de l'écriture déplacé du moi vers cette neutralité du JE, l'écriture semble se faire d'elle-même et pour elle-même. [...]
[...] Cette altérité surveillée, aux frontières, à l'horizon, se présente comme possibilité sans pour autant être simplement saisissable. D'où cette équidistance de la rage et de la famine équidistance qui est presque une équivalence, la faim de l'autre se configurant comme une rage, donnant naissance à l'écriture comme travail. Ce travail ne rend pas l'homme au monde mais se projette lui-même, par l'image qu'il suscite, dans le monde, et s'y enfonce. La faim ne peut être considérée chez Dupin comme pouvant être satisfaite. [...]
[...] Mes faims, tournez. Paissez, faims, Le pré des sons. Attirez le gai venin Des liserons. Mangez mes cailloux qu'on brise, Les vieilles pierres d'églises ; Les galets des vieux déluges, Pains semés dans les vallées grises. Cette faim, qui est clairement dans ce poème celle de la réalité rugueuse est ici confiée à l'écriture, qui, plus que d'en devenir l'expression, en est le lieu d'apaisement. Les faims peuvent paître le pré des sons elles peuvent se nourrir dans la langue car la langue accueille leurs objets, la terre les pierres l'air On peut rêver à l'écriture comme acte par lequel sont rencontrés les éléments primordiaux dont on avait si faim, et où par conséquent cette faim peut s'apaiser. [...]
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