La renommée de Pierre Abélard, né en Bretagne en 1079 et mort à l'abbaye de St Marcel en 1142, est surtout due à la célébrité de ses amours avec Héloïse, qui constituent un chef d'œuvre de la littérature épistolaire jusqu'à nos jours. Cependant, ce qui nous intéresse ici du point de vue de l'Histoire, c'est que la vie d'Abélard, marquée par sa passion pour l'enseignement et le savoir, est à la charnière de deux siècles, charnière d'autant plus importante qu'elle constitue le point de départ de ce que des historiens comme Jacques Le Goff vont qualifier de « Renaissance du XIIème siècle » Une renaissance que l'on attribue en outre à la croissance urbaine, qui, régénérant les façons de dispenser le savoir, contribue à développer un important essor culturel en Occident. Le texte dont nous disposons est extrait de l'Historia calamitatum mearum (Histoire de mes malheurs), une autobiographie qu'Abélard aurait écrite pour un ami, mais dont l'authenticité est remise en cause, et qu'on a pu attribuer à Jean de Meung, célèbre continuateur du Roman de la Rose au XIIIème siècle. Dans ce texte, l'on peut noter l'insistance avec laquelle Abélard évoque son succès, et l'on peut supposer qu'il le fait dans le but de mieux l'opposer par la suite à ses « malheurs », qu'il semble considérer à la fin de sa vie comme un juste châtiment divin.
[...] Cette idée, Abélard en fait la démonstration dans des ouvrages comme le Sic et non ou le Traité de l'unité et de la Trinité divines. Cette méthode est à l'origine d'un courant intellectuel qui sera repris par de nombreux maîtres suite à Abélard, et elle explique que cet homme a toujours été considéré dans l'historiographie comme le témoin de l'esprit nouveau du XIIème, voire comme son précurseur. On a vu dans ses idées et celles des hommes de son temps la manifestation d'un humanisme préfigurant, par la volonté de retourner aux sources antiques du savoir (voire les références à Lucain, Ajax celui de la fin du Moyen-Âge ; humanisme qui porte en outre à considérer encore plus gravement l'émasculation d'Abélard, comme une atteinte à la complétude de l'homme : ligne 110 La grâce divine vint me guérir malgré moi[ ] de la luxure, en me privant des moyens de la satisfaire Mais en fait, la réputation d'Abélard ne dépassait pas les limites de milieux bien précis, et si par la suite il ne fut plus étudié en tant que philosophe, c'est parce qu'il appuyait son enseignement sur des textes qu'on connaissait déjà depuis la fin de l'Antiquité (traités d'Aristote, de Porphyre, de Boèce Le renouveau de la culture et des livres par les traductions grecques et arabes arrive juste après lui. [...]
[...] De ces puissants il faut évoquer la famille de Garlande, qui fait bénéficier à son protégé des appuis qu'elle a à la cour, et cette famille avait notamment l'autorité de l'abbaye Sainte Geneviève. C'est eux alors qui autorisèrent Abélard à enseigner sur leur territoire. Il faut en effet aux maîtres, de plus en plus systématiquement, une autorisation pour tenir école. En général cette autorisation est ecclésiastique, et on peut y voir un précédent aux futures licentia docendi. Ainsi, si Abélard déclare ligne 10 aspirer à devenir chef d'école il n'en reste pas moins qu'il lui faut au moins l'aval d'un maître le jugeant digne d'enseigner pour le devenir. [...]
[...] Abélard, sa vie en témoigne, fit les frais de ces difficultés. En ouvrant les portes à une nouvelle façon de réfléchir, il permet la transformation progressive des mentalités et de la sociabilité dans les villes nouvelles, et, dans une époque fortement marquée par le féodalisme, on voit apparaître dans le milieu urbain des formes de communication horizontales, reposant sur la discussion, la controverse, et le compromis. [...]
[...] L'enseignement, essentiellement oral, est tenu dans des locaux que le maître louait ou possédait, et il était en général payant. Mais beaucoup d'écoles dépendaient des cathédrales, comme celle de Guillaume de Champeaux, qui enseigne à Notre-dame, et où Abélard a également donné des leçons. Ainsi l'écolâtre de la cathédrale avait le monopole de l'enseignement sur l'ensemble du diocèse, et contrôlait l'école au nom de l'évêque ou de l'abbé. Cela qui explique, par exemple, qu'Abélard chassé de Paris installa son école à Sainte Geneviève : le territoire échappe à la juridiction de Notre-Dame : ligne 42 J'allai établir mon camp hors de la ville, sur la montagne Ste Geneviève, comme pour faire le siège de celui qui occupait ma place. [...]
[...] Alors que d'autres villes ont développé les sciences de la médecine, ou l'étude du droit renouant avec le code Justinien, la ville de Paris fonda sa réputation sur l'approfondissement de l'étude des arts libéraux du trivium (grammaire, rhétorique, dialectique), en particulier la dialectique, qu'Abélard souhaite étudier. Les disciplines du quadrivium sont alors délaissées, et Abélard lui-même dit n'en avoir aucun savoir. En fait, déjà depuis la moitié du XIème siècle la dialectique s'était renouvelée, et avait incité certains maîtres à examiner de grandes questions théologiques à l'aide d'arguments rationnels. Guillaume de Champeaux, qui tient la chaire de l'école de la cathédrale Notre-Dame, est aussi réputé pour ses leçons de rhétorique. [...]
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