L'artiste en général est tempéré par les limites de son domaine d'expression : le peintre par le cadre de son tableau, le danseur par les lois de la pesanteur et le sculpteur par son bloc de marbre. Le poète, dont le matériau est la langue et les mots, est un inventeur de formes expressives. Peut-il trouver la richesse et parvenir à l'illumination dans les contraintes de la facture propre au texte poétique ? (...)
[...] Avec sa fantaisie toute personnelle, il définit le schéma d'un sonnet par : La preuve d'un sonnet est par l'addition : / Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède, / En posant 3 et 3 ! Il met ainsi en garde l'apprenti-poète pour ne pas qu'il devienne un simple rimeur et applique des règles comme des recettes de cuisine. Cette rigidité des contraintes ne permet pas au poète de témoigner au lecteur sa pensée fulgurante et naturelle. Or le poète est un intuitif. [...]
[...] Il est effectif que le vers crée un rythme qui charme le lecteur, sans que du reste celui-ci puisse déterminer d'où vient cet enchantement. En fait, le travail minutieux d'écriture du poète stylise la pensée et crée alors une langue poétique qui transporte le lecteur hors du monde quotidien et de ses préoccupations. C'est sans doute ainsi que Baudelaire a procédé avant de fixer, dans des vers d'une grande simplicité mais au rythme magique et surnaturel, le refrain de son Invitation au voyage : Là tout n'est qu'ordre et beauté Luxe, calme et volupté. [...]
[...] La poésie tient de l'interaction des mots entre eux, à leur combinaison, bien différente de celle, logique, que l'on trouve dans le discours non poétique. Il faut les choisir et les agencer d'une certaine façon, sans se soucier de la logique, de l'idée même et parfois aussi de la syntaxe, pour qu'ils deviennent poétiques. Arthur Rimbaud définit son idéal poétique comme une alchimie du verbe (au sens de mot On peut considérer que la poésie est une torture de notre langage qui soustrait les mots à leurs emplois habituels. [...]
[...] Ainsi, de nombreux sonnets de Baudelaire sont hétérométriques (composés de vers différents) ou bien se jouent du rythme en associant décasyllabes et octosyllabes. Victor Hugo proteste, donnant la primauté à l'inspiration, aux lois générales de la nature : Il n'y a ni règles ni modèles ; ou plutôt, il n'y a d'autres règles que les lois générales de la nature, qui planent sur l'art tout entier, et les lois spéciales qui, pour chaque composition, résultent des conditions d'existence propres à chaque sujet Pour certains, l'inspiration a le droit de créer elle-même sa propre forme sans retenue ni contrainte. [...]
[...] Ce n'est pas la versification qui donne la poésie à ce texte, mais les mots déracinés de leurs emplois habituels, soustraits à leurs connexions communes. Mais la poésie est paradoxe et, alors même qu'on cherche à la définir et à la saisir, fuyante, elle échappe à toute recette jouant comme un compromis entre contrainte et affranchissement. Ainsi, la plupart des poètes ont pris une position nuancée et ont gardé un équilibre entre respect et mépris du vers. Baudelaire et Raimbaud ont tantôt opté pour la poésie en vers, tantôt pour le poème en prose, parfois sur un même thème : Baudelaire fait de Crépuscule du soir le sujet d'un poème en vers et d'un poème en prose, sans que l'on puisse dire, même de nos jours, lequel des deux est le plus poétique Ces deux poètes montrent qu'il est des cas où contrainte et pensée ne se contredisent pas et certaines de leurs expériences poétiques ont consacré la nécessité de la combinaison de l'inspiration et de la contrainte. [...]
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