Alcools, recueil, travail de sublimation, monde moderne, poésie, sublimation du monde, Guillaume Apollinaire, beauté, beauté mystérieuse, codes de la tradition, langage poétique, amour, tradition poétique, métaphore, 1913, tonalité formelle, idéal amoureux, structuration formelle, registre de langue, forme traditionnelle, poésie d'amour, traitement poétique, traitement thématique, quête, identité, sujet lyrique, modernité, représentation
« Le gardien du troupeau chante tout doucement / Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent / Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne ». Dernière strophe du poème des « Colchiques » d'Apollinaire, ces trois vers, en sollicitant l'esprit grégaire propre à l'image pastorale (« troupeau », « vaches », « pré »), pourraient quasiment apparaître comme une métaphore de celle de la tradition que les poètes, telles ces vaches « lentes et meuglant », finissent par « abandonne[r] / pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne ». C'est en effet par le recueil « Alcools », paru en 1913, qu'Apollinaire se fond dans une volonté nettement affirmée de prise de distance avec la « coutume » poétique, la tradition : vers libres et tantôt blancs, tantôt sans rimes, sans formes particulières ; une tonalité formelle qui déstructure les chemins classiques d'une oeuvre qui s'attache au sujet amoureux longtemps fixé par la tradition poétique dans sa superbe inamovible.
[...] Dans quelle mesure le recueil « Alcools » peut-il être défini par le travail de sublimation du monde moderne engagé par le poète ? « Pour extraire la beauté mystérieuse et inédite du monde moderne, les poètes doivent inventer des formes et un langage poétique dégagés des codes de la tradition ». Votre lecture d'Alcools d'Apollinaire vous permet-elle de confirmer cette affirmation ? « Le gardien du troupeau chante tout doucement / Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent / Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne ». [...]
[...] De même, l'absence de ponctuation, qui se vérifie tout au long du recueil, dresse un portrait « en continu » des poèmes qui se succèdent sans interruption ; inexistence de brisures au sein même des poèmes qui pourrait apparenter le travail formel d'Apollinaire à un grand tracé sans contours, une fluidité personnelle et un flot d'images qui emportent le tout dans un tableau impressionniste. Cette sorte de « formalisme anti-formel », propre à la modernité, est finalement caractéristique du recueil lui-même : placé sous les auspices du premier poème, « Zone », qui signifie « ceinture » en grec, le lecteur se trouve en présence d'une œuvre a priori décousue, cyclique, fluide, mouvante, insaisissable et amorphe. Une continuité et une linéarité qui participent, par la forme, à l'évocation du monde moderne lui-même. [...]
[...] Apollinaire, en se dégageant de la tradition par son recueil, fut en même temps l'initiateur d'une tradition poétique qui sera prolongée, au cœur de la modernité, par le courant surréaliste : a-t-il « égalé [son] destin », pour paraphraser ce qu'il écrit dans « Marizibill » ? Le destin du poète n'est-il pas, finalement, de concevoir dans la tradition poétique des formes nouvelles qui ne sont jamais que des réactualisations d'interrogations profondes et éternelles qui traversent et enveloppent entièrement les éléments de la condition humaine ? [...]
[...] C'est ainsi que, ouvrant Alcools, le poème « Zone » annonce lui-même la couleur de ce que sera la structure du recueil : « À la fin tu es las de ce monde ancien ». Le poème lui-même témoigne de cette liberté accordée à la forme : absence de rimes, déconnexion des vers, tantôt strophes à trois vers, tantôt à deux ou plus, la notion de rupture se reflète précisément dans la forme qui est autant une « zone » inédite du recueil, à la fois un début et une fin : début du recueil et fin du « monde ancien » ; début formel du recueil et fin formelle de la tradition poétique qui le précédait. [...]
[...] Cette irruption des éléments de la modernité est très sensible dans « Zone » : le poète, aux prises avec « l'angoisse de l'amour » qui lui « serre le gosier », est aussi celui qui en a « assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine » : il se dégage des canons esthétiques hérités de ce temps et mêle, à la pastorale, à la fois l'image de la « tour Eiffel », des « automobiles », les « hangars », « journaux », « sténo-dactylographes », « rue industrielle » ou « restaurant ». C'est l'amour resitué dans le temps : il y a donc une question profondément temporelle et situationnelle dans le propos d'Alcools, qui propose de réactualiser la notion esthétique de l'amour, par le traitement poétique, dans le monde actuel, le monde du poète qui est ce début du XIX[e] siècle. [...]
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