La Chartreuse de Parme fut écrite par Stendhal en très peu de temps. Stendhal raconte qu'il a eu le 3 septembre 1838 « l'idée » de la Chartreuse de Parme ; le 4 novembre 1833, il commence à dicter à un secrétaire son roman, qu'il achèvera en l'espace de sept semaines. Cette rapidité d'exécution contribue au charme particulier du roman, d'où émane une liberté de ton singulière. Cette liberté n'est cependant pas du désordre : l'univers de La Chartreuse de Parme s'ordonne clairement autour de deux pôles géographiques symboliques.
D'un côté, nous avons les lieux sublimes, tels que le lac de Côme, la Tour Farnèse, ou encore le clocher de l'abbé Blanès. Ce sont des lieux qui, par leur élévation matérielle, représentent visuellement l'élévation spirituelle des héros. Ce sont aussi des lieux où le bonheur par l'amour semble possible…
D'un autre côté, nous avons la cour – un lieu où s'incarne la vie sociale, avec tous ses compromis, ses bassesses, ses laideurs et ses ridicules. Alors que les lieux sublimes sont décrits en quelques phrases seulement, pour laisser au lecteur le soin de les imaginer à sa guise, la cour est analysée en profondeur par Stendhal. La cour est un lieu symbolique, mais c'est aussi une réalité complexe dont Stendhal démonte les rouages avec beaucoup de finesse.
Nous verrons dans un premier temps que l'univers de la cour est à la fois ridicule et fascinant : Stendhal met en pleine lumière la mesquinerie de la vie de cour, tout en soulignant ses dangers. En cette vie, se côtoient le dérisoire et le tragique, l'absurde et le gouffre. Ce monde terrible et dérisoire est, nous le verrons dans un second temps, un monde théâtral où règnent les apparences. La cour est une scène où les courtisans jouent des rôles interchangeables. On verra enfin que ce monde artificiel est aussi et surtout un monde pervers : Stendhal montre son fonctionnement vicié, qui ne peut déboucher que sur le malheur et l'avilissement.
[...] En pourtant, dans ce théâtre qu'est la cour, l'artifice est d'autant plus visible que les rôles sont interchangeables. Entre le parti de Mosca et celui de la Raversi, il n'y au fond, aucune différence. L'hostilité des deux partis est, en fin de compte, la seule chose qui les sépare : leur rôle dans le gouvernement, leurs idées sont interchangeables. Fabio Conti, libéral, se retrouve à la tête d'une prison où sont enfermés des libéraux ; Mosca, conservateur, est accusé d'ultra-libéralisme : les acteurs s'échangent leurs rôles. [...]
[...] Mais, parmi toutes les cours, celle du roi de Parme est particulièrement risible. En effet c'est une petite cour dont les prétentions ne peuvent être qu'une version miniature de celles des grandes cours. Son prince n'est lui-même qu'un petit prince Comme il se l'avoue à lui-même, dans un accès éphémère de lucidité : à la page 337, il craint que Gina fasse des épigrammes sur la grande colère du petit prince de Parme La cour du prince de Parme n'a pas le brillant de celle du prince Eugène : les sots y pullulent - c'est ce que dit le narrateur à la p.178. [...]
[...] Mais la vie de cour a eu sur lui un effet encore pire, car elle l'a rendu presque méchant. Mosca lui-même s'en rend compte, puisqu'il s'exclame (p.199) : ma gaieté ne laisse-t-elle pas entrevoir, comme chose toute proche, le pouvoir absolu et la méchanceté ? Même Fabrice, qui n'est pourtant que peu influencé par la cour, remarquera aussi que tous les intérêts si compliqués de cette cour l'ont rendu méchant. (p.228) La vie de cour ne crée donc, en fin de compte, que du malheur et de la haine. [...]
[...] Comédie théâtrale, la vie de cour n'est pourtant pas un simple divertissement, car elle entraîne toujours au malheur et à l'avilissement. La cour est un monde inversé, et sa puissance dissolvante pervertit tous ceux qui l'approchent ; seuls Fabrice et Clélia en sortent intacts. En effet, dans La Chartreuse de Parme, l'héroïsme ne se mesure pas aux dangers physiques encourus, mais bien plutôt aux dangers spirituels surmontés : Fabrice et Clélia apportent la preuve de leur grandeur héroïque en traversant les intrigues sordides de la cour sans jamais perdre la fraîcheur de leur innocence. [...]
[...] (p.587) Gina s'en rendra bien compte après l'arrestation de Fabrice. Mosca est de tous les personnages principaux celui qui dépense le plus de temps et d'énergie à la cour, aussi est-il celui qui subit le plus son influence. Malgré la lucidité avec laquelle Mosca analyse la vie de cour, lui-même n'en sort pas indemne. Perverti par la cour, il ne peut plus s'élever aux hauteurs sublimes des autres personnages principaux, ce que révèle sa survie à la fin du roman au bout du compte, l'exercice du pouvoir le console de la perte de Gina. [...]
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