« Sartre ne peut se concevoir sans Beauvoir, ni Beauvoir sans Sartre ». C'est ainsi que Jean-Paul Sartre évoqua un jour en des termes si absolus la liaison qu'il entretint pendant plus de cinquante ans avec Simone de Beauvoir. Ils forment à tous jamais pour la postérité un couple de légende, engagés politiquement et intellectuellement dans les luttes de leur temps et unis jusque dans la mort dans leur passion pour la vérité. La transparence qui semble caractériser leur couple n'a pas empêché qu'une grande partie de leur vie fut pendant longtemps occultée pour leur public, qui avait une image très idéalisée de leur couple. La publication de leur correspondance (Lettres au Castor en 1983 et Lettres à Sartre en 1990) fut un grand choc, le lecteur découvrant que derrière l'image du couple réinventé et libre étaient en fait dissimulés perversité, mensonge et voyeurisme. Michel Contat, grand sartrien, a décrit l'enjeu auquel s'est un jour confronté tout admirateur de Sartre :
« S'ils ont réussi, nous ne nous sommes pas trompés, et si nous avons échoués, nous ne pouvons nous en prendre qu'à nos seules insuffisances. Mais s'ils ont échoué et ont dissimulé leur échec, alors ce sont des faussaires et des imposteurs ».
Qu'en est-il vraiment de la nature du pacte d'amour par lequel Beauvoir et Sartre étaient liés : engagement sincère prônant la liberté de chacun des conjoints et marquant la consécration de l'amour moderne, ou vil contrat d'écrivains égoïstes et malhonnêtes n'hésitant pas à briser le cœur des tiers qui s'opposeraient à leur volonté ? Sans doute faut-il trouver une réponse entre ces deux extrêmes, mais une seule chose est sûre : la relation Sartre-Beauvoir n'est pas seulement ce pacte généralement présenté de façon édulcorée. Aucun des deux n'a été parfaitement honnête avec l'autre et avec les « tierces personnes », le mensonge et le vice se sont souvent invités et l'idéalisme du pacte a vite été supplanté par la complexité inhérente aux relations humaines et à la vie.
« Sympathique, jolie mais mal habillée ». C'est en ces termes que Sartre décrit celle qu'il rencontre en 1928, rue d'Ulm, sur les bancs de l'Ecole Normale Supérieure. La jeune Simone, est surnommée par un ami proche, René Maheu, le Castor, en raison de sa façon industrieuse et compulsive de travailler et de la similitude de son nom avec le mot anglais pour Castor, « Beaver ». Elle rentre vite dans le cercle des amis de Sartre qu'elle avait fort mal considéré de prime abord, admirant son intelligence mais méprisant sa grossièreté et sa prétention. En 1929, sur les 73 candidats qui présentent l'agrégation de philosophie qu'ils avaient préparé ensemble à la Cité Universitaire Internationale, Sartre obtient la première place et Beauvoir, de trois ans sa cadette, arrive seconde. Il semblerait même que le titre de major devait revenir à Beauvoir mais le jury d'agrégation avait finalement favorisé Sartre, parce qu'il était redoublant et surtout parce qu'il était un homme – la lutte pour l'égalité des femmes n'avait pas encore été initiée par le Castor, qui traînait déjà derrière elle une réputation sulfureuse. Malgré un début d'amourette avec Maheu, Beauvoir se rendit vite compte que seul Sartre pourrait lui apporter ce qu'elle désirait : il vivait si intensément et débordait tellement d'ambitions littéraires qu'il lui semblait être le plus grand des hommes qu'elle eût jamais connu. Proclamant sa volonté de pouvoir disposer d'une liberté totale, pour écrire et pour vivre, il désirait que Beauvoir conquière aussi la sienne. Voilà un homme qui au moins ne lui imposerait pas de se conformer aux convenances sociales bourgeoises qu'elle avait toujours décriées. Simone de Beauvoir exprime son attachement profond à Sartre à la fin des Mémoires d'une Jeune Fille Rangée en ces mots :
« Sartre répondait exactement au vœu des mes quinze ans : il était le double en qui je retrouvais, portées à l'incandescence, toutes mes manies. Avec lui, je pourrais toujours tout partager. Quand je le quittai au début d'août, je savais que plus jamais il ne sortirait de ma vie ».
[...] Quand je le quittai au début d'août, je savais que plus jamais il ne sortirait de ma vie Un pacte d'amour ? Sartre fut d'emblée clair avec Beauvoir : il aimait trop les femmes pour ne se contenter que d'elle. Il revendiquait haut et fort le droit d'avoir des aventures et enjoignit Beauvoir à faire de même. Il pouvait justifier cette attitude apparemment machiste aux yeux d'une femme qu'il considérait comme son égal en affirmant qu'elle représentait pour lui la seule véritablement importante pour lui, l'amour de sa vie. [...]
[...] Mais c'est la trahison de Beauvoir qui affecta le plus Bianca, qui la considérait comme une amie de confiance. En réalité, le Castor, faute de pouvoir posséder Sartre exclusivement, préférait choisir les jeunes filles avec qui il coucherait, afin de garder un certain contrôle sur sa vie sentimentale ; elle avait donc choisi Bianca pour être la maîtresse de Sartre, mais voyant qu'il tombait amoureux de la jeune fille et craignant qu'il ne s'éloigne d'elle, sa compagne nécessaire, elle avait subtilement œuvré dans l'ombre pour les éloigner et provoquer la rupture. [...]
[...] Ce dernier point est relativement intéressant, étant donné que la vision moderne que nous avons du couple est indissociable de la sexualité, considérée comme baromètre infaillible de l'intensité des sentiments de chacun et de la solidité du lien qui les unit. Pourtant, pendant des années, la vie sexuelle de Sartre et Beauvoir s'était traînée, sans la moindre étincelle de passion. Beauvoir confia d'ailleurs : Sexuellement, ce ne fut pas une parfaite réussite, essentiellement à cause de lui. Il n'est pas passionné par la sexualité. Ils discutèrent bien des années plus tard de cette froideur ou indifférence sexuelle -voire de cette frigidité et l'attribuèrent à l'incapacité absolue de Sartre de se défaire de la gêne que lui inspirait son corps. [...]
[...] ] Simone de Beauvoir était complice. Et il m'est arrivé à moi d'être complice" "Entretien avec Claude Lanzmann", in Les Temps Modernes, numéro spécial sur Sartre, oct-déc 1990 Lena Zonina à Sartre : "Toi et Castor nous avez construit ensemble un truc remarquable et digne d'émerveillement mais tellement dangereux pour les personnes qui s'approchent". La devanture de l'hôtel Mistral, rue Cels, où Sartre et Beauvoir vécurent un temps pendant la guerre, est ornée d'une grande plaque. Pour Sartre, on a cité un passage d'une de ses lettres au Castor: "Il est une chose qui ne change point, ni ne peut changer, c'est que quoi qu'il arrive et quoi que je devienne, je le deviendrai avec vous". [...]
[...] Il semblerait même que le titre de major devait revenir à Beauvoir mais le jury d'agrégation avait finalement favorisé Sartre, parce qu'il était redoublant et surtout parce qu'il était un homme la lutte pour l'égalité des femmes n'avait pas encore été initiée par le Castor, qui traînait déjà derrière elle une réputation sulfureuse. Malgré un début d'amourette avec Maheu, Beauvoir se rendit vite compte que seul Sartre pourrait lui apporter ce qu'elle désirait : il vivait si intensément et débordait tellement d'ambitions littéraires qu'il lui semblait être le plus grand des hommes qu'elle eût jamais connu. Proclamant sa volonté de pouvoir disposer d'une liberté totale, pour écrire et pour vivre, il désirait que Beauvoir conquière aussi la sienne. [...]
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