Le corps dans Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar

Résumé du document

Le corps est ce que la mort efface: ainsi, dans l'autobiogaphie sensuelle, car basée en premier lieu sur les expériences corporelles, qu'est Mémoires d'Hadrien, l'acharnement à se remémorer un corps jeune, beau et sain, en adéquation avec l'idée même d'écrit autobiographique, trahit un fort désir d'éternité. Nous verrons ainsi comment corps et temps sont liés dans le récit, avant d'étudier le désir d'éternité sous les angles de la justification esthétique puis de la recherche d'une spiritualité liée au corps

Extraits

[...] Une esthétique de la 'volupté sage' Hadrien ne cache pas son goût pour les plaisirs que lui procure son corps. Il justifie sa pratique de ces plaisirs, à une époque où il était de bon ton de se déclarer ascète ou stoïcien par une injection de sagesse; les plaisirs corporels ne sont pas simplement épidermiques, ils peuvent être un moyen de communiquer avec le monde, ces plaisirs peuvent "bouleverser l'âme". De même le corps humain est plus que de la chair et du sang. [...]

[...] p.64 "Chacun de nous croyait échapper à sa condition d'homme, se sentait à la fois lui-même et l'adversaire, assimilé au dieu dont on ne sait plus très bien s'il meurt sous forme bestiale ou s'il tue sous forme humaine" On peut inscrire la "nuit syrienne" dans ces initiations : même si elle est plus personnelle, moins ritualisée que les autres, elle est plus profonde : "ma part consciente d'immortalité", p.165 Les Mystères évoquent une situation paradoxale du corps : Ils sont à la fois l'expérience de l'abandon total du corps, qui se fond tout entier dans l'esprit, et en même temps, la transe nécessite la mobilisation totale du corps, même pour la nuit syrienne, qui est préparé à la page 137 par ces mots : "mais la grande ressource était avant tout l'état parfait du corps : une marche forcée de 20 lieues n'était rien, une nuit sans sommeil était considérée comme une invitation à penser" En fait, le corps mène à l'esprit que lorsqu'il se fait oublier b. L'oubli du corps, la naissance de l'âme Corps et liberté. [...]

[...] Le signe du temps Le corps et ses métamorphoses sont la preuve sensible du passage du temps au niveau personnel; les grandes étapes de la vie humaine sont exprimées par les changements corporels. C'est ainsi que le Sphinx, dans le mythe d'Oedipe, définit l'Homme, comme un corps changeant quatre pattes le matin, à deux pattes à midi, à trois pattes le soir"). Dans les Mémoires, la place du corps est prépondérante, dans ses différents stades d'évolution. Le corps malade, signe de la mort approchante, a pour conséquence un retrait progressif de la vie. [...]

[...] Le corps est liberté que s'il est parfait serviteur de la volonté Suicide d'Antinous : c'est par là qu'Hadrien comprend la profondeur du jeune homme, c'est ainsi qu'Antinous les libèrent tous deux d'un amour devenu pesant . et c'est aussi par là qu'il s'attache Hadrien à jamais. Avant son suicide, Antinous n'était qu'un corps; sa mort voulue lui donne une âme. Dissolution du corps et envol de l'âme : Dans le dernier paragraphe du texte, celui qui reprend le poème d'Hadrien inscrit en épigraphe à la tête du récit, toute notion de corps disparaît : Hadrien ne s'adresse plus qu'à son âme. [...]

[...] Mais c'est aussi une touche d'épicurisme qui le pousse à vivre : " Pour moi, je comprenais mal qu'on quittât volontairement un monde qui me paraissait beau, qu'on n'épuisât pas jusqu'au bout, en dépit de tous les maux, la dernière possibilité de pensée, de contact, de regard." (p.178) la mort est à la fois une affaire d'honneur et une affaire d'esthétique. Hadrien face à la mort d'Antinoüs Si Hadrien cherche à prendre du recul face à la dissolution de son corps et parvient à méditer sur ce phénomène, la mort d'Antinoüs est pour lui un choc physique. La disparition de ce corps chéri, maintes fois décrit avec volupté, lui est insoutenable. [...]