Conception de la poésie selon Francis Ponge

Résumé du document

La poésie serait-elle présomptueuse? L'Amour, la Mort, la Vie, la Fuite du temps, la Condition de l'Homme...sont autant de grands thèmes traités de façon inlassable au cours des siècles. Des thèmes nobles sans doute, qui attirent les poètes, chacun s'y essayant avec plus ou moins de talent ou s'y brûlant les ailes. Pourtant pour Francis Ponge, poète moderne du XXème siècle, "le plus simple n'a pas été dit". Le plus simple ce n'est pas forcément l'universel, le général: le particulier est souvent plus difficile à dire. Dans son essai Pratiques d'écriture ou l'inachèvement perpétuel (1984), Ponge propose une nouvelle façon d'écrire, reconsidérer notre appréhension de la poésie. Pour lui, les mots sont une "matière" qui a des "propriétés particulières" lui permettant d'exprimer les choses; à partir de là seulement le poète peut travailler agréablement. Ponge ne nie pas les objections que l'on peut lui adresser: cette expression des choses n'est peut-être pas "la fin du langage", ce que font peut-être mieux d'autres écrits. Mais l'auteur ouvre une autre perspective à la poésie moderne dans ce qu'elle peut offrir de nouveau à l'homme dans son rapport au monde et le faire "sortir du manège ennuyeux" de ses considérations. Cette conception de la poésie a différentes implications: d'abord la théorie d'une matérialité verbale des mots et ce qu'elle permet poétiquement, et les raisons pour lesquelles la poésie est souvent mal perçue. Enfin nous verrons dans quelle mesure cette théorie reste discutable.

Extraits

[...] Ponge - Figures III, G. Genette - Le parti pris des choses, F. Ponge - Secret Professionnel, J. [...]

[...] Le point de départ à l'écriture poétique selon Ponge est de poser l'existence d'une matérialité verbale. Le poète doit voir les mots comme une "matière". Il s'agit ici de respecter la nature même du langage comme existant en lui-même. Selon Gérard Genette, la poésie parvient à créer des "associations plus physiques" de mots de par leur matérialité même (Figures III). Le mot en tant que matière se différencie du mot classiquement outil, objet, instrument de la langue. Selon Francis Ponge il faut avant tout refuser d'utiliser les mots, qui ont une matérialité, une épaisseur qu'il ne faut pas nier. [...]

[...] La conception que Ponge a de la poésie c'est qu'elle semble presque nécessaire : le poète est comme happé par un besoin de laisser s'exprimer les mots. Ponge confère une certaine force, une volonté aux mots. Toutefois, c'est oublier la poésie comme ce qu'elle a longtemps été : "poiesis", fabrication. Les Parnassiens sont l'ensemble le plus probant de la réussite de la poésie dans la théorie de l'Art pour l'Art. Baudelaire lui - même choisit de dédier Les Fleurs du Mal à Théophile Gautier, "poète impeccable", incarnation de l'artisan du vers. [...]

[...] Exprimer "les" choses est-ce vraiment "la fin de la parole” ? Ponge admet facilement que ce n'est probablement pas le cas, il distingue donc sans doute parole et poésie. Il est vrai que la parole, dans son utilisation quotidienne est dénuée de toute poésie car elle ne se veut pas poétique et donc ne cherche pas à exprimer des choses. On parle ici de la fonction purement prosaïque du langage, qui sert à communiquer tous les jours. C'est encore ce que Mallarmé appelle "langage brut" qui sert seulement à "décrire", "enseigner", "raconter" mais qui a de nombreux défauts et notamment celui de ne pas toujours avoir les mots pour dire. [...]

[...] ) détruit la nature spontanément fonctionnelle du langage" (Roland Barthes). C'est donc une matière qui permet de composer : au même titre que "le peintre associe des couleurs et des formes", le poète tisse une matière. Cette matière a en outre des propriétés qui lui sont propres. Elle a l'épaisseur d'une matière, mais en tant que matérialité verbale elle en a les manifestations sonores et graphiques. Cela ouvre différentes perspectives : les cratyliens diront que "le son doit sembler un écho du sens" (Pope), d'autres que la poésie reste une "hésitation prolongée entre son et sens" (Paul Valéry). [...]