Georges Blin, définissant chez Stendhal la « peinture des petits faits vrais » entre « l'utopie de l'abstraction de le pittoresque documentaire », écrit au sujet de la description stendhalienne : « composée de notations sensorielles précises, elle n'est pas une pause dans le récit car elle est liée au héros, à son être-au-monde, son avenir dans le quasi-monde romanesque ». Cette conception se retrouve d'ailleurs particulièrement bien illustrée par le récit de la bataille de Waterloo au chapitre III de La Chartreuse de Parme dont l'extrait que nous allons étudier met en évidence l'interpénétration constante du narratif et du descriptif à travers la perception singulière du héros Fabrice. En effet, dans ce passage s'apparentant en surface à une scène de genre tirée d'une fresque historique, Stendhal déploie les ressources stylistiques de son écriture au service d'un système descriptif paradoxal mettant en lumière les tensions entre les deux types de texte, dans lesquelles s'inscrivent en creux la description sous-jacente du « protagoniste » porte-regard ; nous verrons justement pour finir en quoi cette dernière conteste cette appellation (au sens étymologique du terme) par un jeu comique nuancé sur les différents niveaux énonciatifs.
[...] À l'interrogative emphatique («Mais vous, qui êtres-vous doublant le pronom personnel par apposition au pronom interrogatif, pour traduire la surprise de l'interlocuteur, Fabrice répond par un mensonge que celui-ci révèle encore dans une autre interrogative à construction emphatique (dédoublement du COD, par détachement en fin de phrase du syntagme anaphorique dont le démonstratif revêt ici une forte connotation ironique : comment l'appeler vous, ce capitaine ? mettant, par sa fonction pragmatique, le protagoniste dans une position d'infériorité, déjà annoncée par son appellatif révérencieux Monsieur auquel le destinataire ne répondra que par un pronom personnel vous Ainsi, cet extrait, comme nous le montre l'étude stylistique du descriptif, participe bien de ce réalisme subjectif propre à l'écriture stendhalienne mettant aussi bien en lumière le pittoresque de cette scène de genre animée par le récit que l'aspect proprement pictural de la description dépeinte à travers la perception fragmentaire du protagoniste. [...]
[...] Les péripéties sont absentes ou recherchées dans l'illusion de micro- intrigues comme l'illustre le pseudo coup de théâtre ménagé par l'interjection de Fabrice l.22 Ah ! nous sommes attaqués, se dit- il En réalité, la temporalité, en dépit du jeu l'alternance imparfait/passé simple (la majorité des verbes au passé simple étant d'ailleurs des verbes de perception et paradoxalement les verbes à l'imparfait des verbes dynamiques met avant tout en exergue l'engluement de l'action comme le montre les nombreuses marques temporelles traduisant l'itératif de nouveau cette fois voyait quelquefois renforcé par l'aspect de l'imparfait) et donc la monotonie des actions. [...]
[...] En témoigne en effet la mise en exergue du pronom moi apposé à l'adverbe Jamais et suivi de deux relatives caractérisantes coordonnées au sein d'une phrase au futur prédictif. L'autoportrait de Fabrice passe ainsi par des définitions de soi largement disqualifiantes comme le montre cet emploi du verbe être négativé dans une structure emphatique plaçant le deuxième terme de la négation en première position dans la phrase, ou encore l'emploi du verbe être l.33 dans le dialogue avec le maréchal du logis, suivi d'un autre type de prédicat disqualifiant : l'attribut frère complété par un double CDN de la femme d'un capitaine traduisant de la même façon l'incapacité de Fabrice à se définir par lui-même ou à se valoriser Portait ironique explicite et implicite de Fabrice par le narrateur - Cependant, l'ironie de la description de Fabrice ne se retrouve pas seulement dans son autoportrait, mais de façon plus diffuse dans le texte par la voix du narrateur intervenant dans le narré. [...]
[...] Mobilisation des caractérisants - Le regard est d'emblée focalisé, par synecdoque narrative, sur certaines parties du corps dans deux mouvements successifs : le terme figures synthétise ainsi les trois éléments détaillés que sont la tête et les cheveux puis les moustaches Or cette description ne prend sens que dans l'organisation des caractérisants en contrepoint. En effet, un jeu antithétique se met en place dans l'opposition pâle rouge blond jaunes châtains soit au sein de l'isotopie de la couleur (que l'on retrouve encore dans le polyptote verbal rougir faisant écho aux trois occurrences de l'adjectif rouge dans le texte). [...]
[...] Or, l'on sait que la description parlée par le personnage, classe le personnage lui-même en retour (Hamon). Bien que Fabrice ne soit que le porte-regard délégué par le narrateur omniscient hétérodiégétique, les jeux de l'énonciation mettent en lumière, à travers les perceptions fragmentaires du héros sa propre description. III) Portrait comique du protagoniste en anti-héros : la polyphonie narrative Comme l'écrit Georges Blin, déniant au pittoresque le droit de se développer en pleine autonomie, la description prend toujours le soin d'énoncer les sensations circonstancielles En effet, contrairement à la description homérique, celle-ci se livre explicitement et implicitement à un portrait psychologique du protagoniste. [...]
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