Commentez ce propos d'Albert Béguin (in L'âme romantique et le rêve) sur Marcel Proust : "Celui qu'on a pris longtemps pour un mémorialiste ou un psychologue apparaît comme l'un des plus grands génies contemplatifs de notre temps".
L'écrivain Marcel Proust et son " grand oeuvre " A la Recherche du Temps Perdu , dont il est inséparable , ont été et continuent d'être l'objet d'études de nombreux critiques littéraires , de philosophes , de psychanalystes et historiens entre autres qui s'efforcent de tirer la " substantifique moelle " de cette oeuvre qui continue à fasciner à travers les époques . C'est dans ces conditions qu' Albert Béguin émet cet avis , dans son ouvrage L'âme romantique et le rêve : "Celui [Proust] qu'on a pris longtemps pour un mémorialiste ou un psychologue apparaît comme l'un des plus grands génies contemplatifs de notre temps " . Quelle certaine idée de la Recherche et de son auteur , Béguin essaie-t-il de faire passer ici ? En se référant précisément aux ouvrages de la " robe " ou de la "cathédrale" proustienne , et à l'héritage culturel dont l'écrivain Marcel Proust peut légitimement se réclamer , nous pourrons mieux affirmer dans quelle mesure il convient de partager cette appréciation et le cas échéant comment la critiquer et la compléter .
Le principal problème posé par la citation de Béguin est de savoir à quel point il considère les affirmations de Proust mémorialiste ou psychologue comme viables . Cependant , force est de constater que l'expression elle-même a une connotation somme toute assez négative ; "prendre pour " indique que les critiques antérieurs qui ont ainsi cru que l'écrivain était un mémorialiste ou un psychologue se sont trompés parce que telles ne sont pas les caractéristiques de Proust . Béguin ne se considère pas comme obligé de respecter ces affirmations qui ne relèvent pas de l'opinion mais manifestement de l'erreur ( il ne dit pas "que l'on a considéré " mais bien "pris pour " comme on dirait que Don Quichotte prenait les moulins à vent pour des géants ) . Par là-même , il nie à Proust la qualité d'auteur de mémoires à caractère historique ; mais jusqu'où va le rejet ? La question mérite d'être posée car le fait est , comme il le fait bien remarquer , que longtemps il a été considéré ainsi . Serait-il possible qu'une génération de commentateurs se soit trompée aussi grossièrement ?
C'est ce que nous verrons ensuite mais pour l'instant , Béguin semble atttaché à ce que la Recherche ne soit pas considérée comme un ouvrage historique dans la mesure où les personnages de l'oeuvre , même s'il se réfèrent à des évènements historiques qui leur sont contemporains comme l'Affaire Dreyfus ou la Première Guerre Mondiale , ne sont pas des personnages ayant réellement existé , ce qui semble devoir constituer la base et l'éthique du Mémoire . Ainsi , la famille des Guermantes n'existe pas pour l'état civil , pas plus d'ailleurs que la ville de Combray qui sont des noms sortis de l'imagination de l'auteur - détails fâcheux pour un récit qui pour certains critiques serait historique ! De plus , si on considère le Mémoire comme le récit qu'une personne fait par écrit des choses , des évènements , auxquels elle a participé au cours de sa vie , nous sommes confrontés au problème du statut narratif ; comment Marcel Proust écrivain pourrait-il prétendre faire le récit de ses choses alors qu'il ne cesse de faire des efforts pour convaincre le lecteur que non , il n'est ni le héros ni le narrateur de la Recherche du Temps Perdu ? Même si les ambiguités à ce propos sont délicieuses , il affirme haut et fort qu'il s'agit d'un roman ("C'est du roman que cela s'écarte le moins") , pas une autobiographie et que par conséquent , nombre de passages de l'oeuvre sont purement fictifs et anti-historiques . Ainsi , comment pourrait-on comprendre Un amour de Swann si on estimait que Du Côté de chez Swann fait partie d'un Mémoire ? Comme ni Marcel Proust ni d'ailleurs le héros futur-narrateur n'ont assisté à la naissance de l'amour de Swann pour Odette de Crécy , il est donc bien évident que La Recherche ne peut pas se réclamer d'un auteur mémorialiste.
[...] Ainsi, il ne peut y avoir de connaissance a priori des personnages proustiens, la préparation n'est pas la connaissance. C'est ce que démontre l'apparition de la duchesse de Guermantes dans Du Côté de chez Swann où la rêverie nominale sur le nom de Guermantes et la confusion signifiant / signifié de la part du héros amène à la déception de ce dernier. Il n'existe donc pas de réel " caractère stable " mais de même que les différents points de vue sont confrontés, résumés, réunis par le narrateur, chaque image nouvelle retouche les précédentes : c'est de cette autre confrontation que naît le relief du personnage, et qu'il acquiert une troisième dimension. [...]
[...] Même si les ambiguités à ce propos sont délicieuses, il affirme haut et fort qu'il s'agit d'un roman ("C'est du roman que cela s'écarte le moins"), pas une autobiographie et que par conséquent, nombre de passages de l'œuvre sont purement fictifs et anti-historiques. Ainsi, comment pourrait-on comprendre Un amour de Swann si on estimait que Du Côté de chez Swann fait partie d'un Mémoire ? Comme ni Marcel Proust ni d'ailleurs le héros futur-narrateur n'ont assisté à la naissance de l'amour de Swann pour Odette de Crécy, il est donc bien évident que La Recherche ne peut pas se réclamer d'un auteur mémorialiste. [...]
[...] Charlus, lui,cultive de nombreux arts ; ainsi, il joue remarquablement du piano ; mais encore plus que Swann, Charlus est l'exemple de l'artiste sans oeuvre ; or, si, pour Proust, la qui lui sera dévoilée à la fin du Temps Retrouvé ( ne pas multiplier les notations de surface pour ce qui nous intéresse ici par exemple), on comprend que non approfondies (comme elles devraient l'être à travers la réflexion puisque le génie ou les dispositions contemplatives naturelles ne suffisent plus), ces impressions emmagasinées en Charlus forment un trop-plein et sont "lancées" par lui dans ses conversations interminables du dernier volume notamment ; du coup, elles sont gaspillées et déviées et n'obéissent qu'à des pulsions que l'art pourrait mettre en forme mais auquel Charlus n'aura jamais recours. Au contraire, le héros-narrateur dépassera ce stade de "génie contemplatif" car peut-être grâce à son bon "génie" ( toujours pour jouer sur l'effet polysémique du terme) et à son "génie" artistique cette fois, il saura reconnaître à temps où est la Vérité et la vraie vie, c'est à dire dans la littérature et dans l'art de représenter les choses. Par là- même, il transcende ses dispositions innées contemplatives pour créer son oeuvre d'art, A la Recherche du Temps Perdu. [...]
[...] On rit, on les applaudit dans les salons où ils fusent ; on rit, à la lecture, de voir rire. C'est ce qu'on peut appeler l'enregistrement social, fruit d'un sens aigu de l'observation, d'une vision malicieuse, voire cruelle du monde. Le travail du mémorialiste, dont le narrateur a percé l'utilité dans les Mémoires et dans le pastiche du Journal des Goncourt du Temps Retrouvé ( "Quel malheur que je n'aie pas fait plus attention à ce monsieur-là ! Je l'avais pris pour un simple figurant, c'était une figure ! [...]
[...] Ce n'est pas le cas de Proust qui était athée, mais ces expressions indiquent bien le degré d'absorption de l'auteur de la Recherche dans l'observation attentive des objets et des êtres, et de la méditation intérieure. Contemplatif et non pas actif, l'œuvre privilégiant la réflexion à l'action "Pas une seule fois, un de mes personnages ne ferme une fenêtre, ne se lave les mains, ne passe un pardessus, ne dit une formule de présentation. S'il y avait même quelque chose de nouveau dans ce livre, ce serait cela s'exclame ¨Proust. [...]
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