Publié pour la première fois dans la revue l'Artiste le 1er janvier 1868, avec cinq autres poèmes des futures Fêtes galantes, « Les Ingénus » est le troisième poème de ce recueil dans la version définitive. Son titre rappelle un autre poème de Verlaine, qui figure dans les Poèmes Saturniens, intitulé « La Chanson des Ingénues », qui sont en réalité des fausses ingénues, puisque le poète, tout en feignant de croire à leur candeur, suggère en contrepoint qu'elles n'ignorent aucune des roueries de la coquetterie féminine. Si l'ingénue est un emploi fréquent au théâtre (on pense à Colombine ou à Agnès dans l'Ecole des femmes), son pendant masculin sur la scène est rare (on peut peut-être citer Arlequin chez Marivaux ou certains personnages de la comédie de Musset). Le titre pourrait certes se comprendre comme un pluriel à valeur générale, englobant hommes et femmes, mais le dernier quatrain ne laisse guère de doutes : au cours de ces trois quatrains, les partenaires ont bien échangé leurs caractéristiques habituelles.
Ce poème de l'illusion et de la tromperie délivre sous une apparence joyeuse une vision pessimiste de l'amour et de la femme, dont le seul souci est de prendre les jeunes naïfs au piège de sa séduction, cruauté soulignée par le poète qui fait rimer « jupe » avec « dupe ». L'adjectif substantivé « ingénu » n'indique pas seulement que les personnages parlent avec une innocente franchise sans rien dissimuler de leurs pensées, mais il se charge ainsi d'une connotation péjorative, suggérant une candeur un peu sotte. Dès le titre, le poème semble plus railleur qu'ému, comme le poème « Dans la grotte », qui ne contient aucune trace de mélancolie. S'achève sur une note inquiétante et énigmatique. Contraste qui permet d'opposer une apparence brillante à la déception, bien réelle, d'un désir resté inassouvi. Ton désabusé et désenchanté de l'amour.
[...] L'ignorance des ingénus auxquels s'identifie le poète par le biais du pronom personnel nous se traduit dans leur vocabulaire qui décrit par périphrase des bas de jambes sans trouver le mot propre. La lourdeur de la conjonction consécutive en sorte que l'abondance des adverbes trop parfois souvent et des prépositions avec selon le prosaïsme du terme interceptés lourdement mis en valeur par le rejet, et l'irrégularité du rythme puis 4/8 et 9/3 et de nouveau permettent aussi de rendre leur maladresse. [...]
[...] ~ Le jeu sur les sonorités, notamment grâce aux nombreuses allitérations, suscite un rythme harmonieux qui participe de l'esthétisation de l'expérience sensuelle. La strophe entière est en effet formée autour d'un nombre réduit de phonèmes consonantiques, qui créent des échos divers : on relève par exemple une allitération en : celle-ci est renforcée visuellement par la présence d'un d muet dans le dard d'un insecte puis on la retrouve dans des éclairs soudains de nuques En tout, le phonème apparaît six fois. [...]
[...] Les Egarements du cœur et de l'esprit de Crébillon fils. Le dernier vers prolonge l'ambiguïté, à travers deux verbes dont on ne sait s'ils expriment l'émerveillement ou la peur : tremble et s'étonne Conclusion : Comparaison avec Cortège le poème qui suit. Suggestion vs. Singe entrepreneur qui regarde. Le poète s'identifie aux ingénus mais en même temps, il prend de la distance par rapport à ce jeu de dupes. [...]
[...] Le soir est l'agent perturbateur, qui semble déclencher quelque chose. Mis en relief par la répétition, qui crée un effet de mélancolie (d'après Verlaine lui-même, commentant Baudelaire), le soir est un moment intermédiaire entre deux extrêmes, le jour et la nuit, comme l'« automne s'intercale entre l'été et l'hiver. Cette ambiguïté est rendue par l'adjectif équivoque mis en valeur par sa place juste après la césure habituelle de l'alexandrin : il s'applique à l'atmosphère extérieure, mais évoque aussi, suivant l'esthétique symboliste, les demi-vertus et les demi-désirs des personnages. [...]
[...] L'inversion du sujet désignant la partie du corps luisaient des bas de jambe permet de mimer l'attente du dévoilement chez ces jeunes hommes désireux de contempler la chair si ardemment convoitée, alors que le rejet du participe interceptés ainsi que le point d'exclamation qui le suit, met en valeur leur déception devant l'écran s'interpose entre le regard et l'objet du désir. Le coup d'œil instantané qui saisit un bas de jambe qui se dénude soudainement rappelle la technique picturale impressionniste, dans sa volonté de peindre l'éphémère. De même, le verbe luisaient dont la paronomase avec le verbe luttaient du premier vers crée une forte rime interne, fait aussi songer à l'impressionnisme, qui procède par juxtaposition de petites touches de lumière. [...]
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