Publié pour la première fois dans la revue l'Artiste le 1er janvier 1868, avec cinq autres poèmes des futures Fêtes galantes, « Sur l'herbe » est le troisième poème de ce recueil dans la version définitive.
Le titre évoque une scène typique de la mondanité galante : la petite partie de campagne, dans un décor champêtre au milieu duquel les personnages pique-niquent, devisent, chantent et dansent. Dans ces trois quatrains d'octosyllabes, des propos joyeux et décousus succèdent à la mélancolie alanguie du poème liminaire, « Clair de lune », et au poème qui le suit, « Pantomime », dont le titre désigne une technique d'expression dramatique qui refuse tout recours à la parole. Ce poème-conversation fait alterner avec une étourdissante virtuosité, comme un écho à la disposition croisée des rimes, des interlocuteurs dont le changement est chaque fois signalé par un tiret : cette complexité énonciative rend pratiquement impossible toute identification précise des locuteurs et de leur nombre. Jacques Robichez, auteur d'une édition critique des œuvres poétiques de Verlaine, affirme qu'il s'agit d'une scène à quatre personnages, le marquis, l'abbé, et deux bergères, dont l'une se nomme Camargo, mais le genre grammatical permet simplement de reconnaître au sein de cette polyphonie la présence d'un groupe d'hommes et de femmes, grâce à des substantifs désignant des situations sociales (l'« abbé » et le « marquis ») et à des appellatifs tels « Mesdames » ou « Messieurs ».
Au-delà d'une anecdote précise, le poète semble donc avoir voulu suggérer l'essence même de la « fête galante », indépendamment de toute référence réaliste dans le décor, les circonstances, ou même les personnages dont on voit bien, à travers l'indécidabilité des voix, qu'ils sont largement interchangeables, même si le nom d'un personnage réel, la danseuse Camargo, est mentionné.
L'univers mis en scène dans ce poème est un univers de fantaisie, fait de transgressions et de défis lancés à la logique comme aux conventions, par des personnages excentriques, au moins en apparence. Une relation de complicité s'instaure alors entre le poète et le lecteur, amené à comprendre, comme à demi-mot, le non-dit du texte, notamment les suggestions érotiques, que l'on retrouve déjà dans le titre, qui rappelle celui d'un tableau suggestif de Manet, le « Déjeuner sur l'herbe », exposé pour la première fois en 1863 (au Salon des refusés), qui a suscité la controverse en juxtaposant une femme nue et deux hommes habillés.
[...] Une relation de complicité s'instaure alors entre le poète et le lecteur, amené à comprendre, comme à demi-mot, le non-dit du texte, notamment les suggestions érotiques, que l'on retrouve déjà dans le titre, qui rappelle celui d'un tableau suggestif de Manet, le Déjeuner sur l'herbe exposé pour la première fois en 1863 (au Salon des refusés), qui a suscité la controverse en juxtaposant une femme nue et deux hommes habillés. Strophe 1. Des personnages à la fois excentriques et conventionnels La complexité de l'énonciation est manifeste dès le premier vers : on peut lire cette première strophe comme un dialogue entre l'abbé et le marquis, ce dernier étant le premier à prendre la parole, bien que cette prise de parole ne soit pas signalée par un tiret, ce qui expliquerait le Et toi annonçant une réplique. [...]
[...] ~ Le vin de Chypre, particulièrement capiteux, introduit dans cette fête galante une note d'exotisme raffiné, que l'on retrouve dans la sonorité même de l'adjectif exquis grâce à la lettre x assez rare en milieu de mot. ~ L'île de Chypre est par ailleurs un haut lieu du culte de la déesse Aphrodite, née selon certaines versions de la légende sur ses rivages, de l'écume de la mer, et donc de l'amour. Si le poète semble invoquer l'amour à travers cette référence, c'est uniquement pour le railler. [...]
[...] Faut-il par ailleurs comprendre, comme l'affirme Jacques- Henry Bornecque dans Lumières sur les Fêtes galantes, que le marquis, sans plus de retenue que l'abbé, fait bien indélicatement mine de se mettre à quatre pattes ? Là encore, le poète raille ce marquis affecté qui userait des codes du langage précieux pour dissimuler sa noirceur : de la même façon que le marquis a révélé la noirceur de l'abbé, le poète se charge de révéler celle du marquis, à demi-mot, nouant ainsi une relation de complicité avec le lecteur. [...]
[...] C'est ce mélange de préciosité parodique et de sensualité insidieuse, cette réunion mondaine mais dans un décor champêtre, qui fait l'essence de la fête galante que Verlaine semble avoir cherché à saisir dans ce poème. L'adjectif galant renvoie à la séduction amoureuse, mais son étymologie galer signifie en ancien français s'amuser évoque aussi à l'attitude de jeu des personnages comme du poète : un jeu sur les mots ( se dévoiler qui peut-être entendu au sens figuré ou sens propre), et un jeu dramatique, parce que les personnages sont en costumes de théâtre (les bergères mais aussi parce que la poésie parlée impliqué une vivacité de style, des affectations, une actualisation, une certaine fébrilité, comme sous l'effet d'une improvisation. [...]
[...] Cet adjectif est banal dans le langage galant, et même affadi par sa banalité. Le marquis emploi une tournure précieuse et affectée en mettant l'adjectif avant l'adverbe de quantité qui le détermine : ce vieux vin de Chypre est exquis / Moins, Camargo, que votre nuque Les personnages qui participent à cette fête aspirent à l'excentricité, tout en représentant des types qu'une tradition littéraire a déjà fixés, et en se livrant à une rhétorique amoureuse des plus conventionnelles. En réalité, ils ne sont pas bien éloignés des donneurs de sérénades et des belles écouteuses qui échangent des propos fades dans Mandoline un autre poème des Fêtes galantes, quinzième dans l'édition définitive, mais publié pour la première fois dans la Gazette Rimée en 1867 (donc avant celui-ci). [...]
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