Ce poème est publié la première fois sous le titre « Fête galante » dans La Gazette rimée du 20 février 1867: c'est le noyau initial du livre, et le poème inaugural dans la version définitive du recueil Fêtes galantes. Il présente en effet une parfaite image du climat psychologique qui caractérise ce recueil : dans ces trois quatrains de décasyllabes aux rimes croisées (alternativement féminines et masculines), le poète décrit des êtres et des choses baignés d'une même mélancolie, alors que la scène est censée être joyeuse.
Il s'inspire en effet de tableaux de Watteau (1684-1721) évoquant l'insouciance et l'ambiance libertine de l'époque de la Régence. La référence au peintre, qui apparaissait déjà dans la « Nuit du Walpurgis classique » des Poèmes Saturniens (« Un Watteau rêvé par Raffet ! »), était d'ailleurs explicite dans la première version du poème, où le vers 9 se lisait : « Au calme clair de lune de Watteau » (mais Anatole France a fait remarquer qu'il n'y avait pas de clair de lune chez Watteau, qu'il qualifie de « peintre ensoleillé »).
La ligne directrice de ce poème réside dans la double tonalité : à une tonalité joyeuse associée à une ambiance festive se superpose une tonalité mélancolique, qui l'emporte à la fin. Cette ambivalence entretient un lien avec le thème du déguisement, qui oppose le monde du paraître à celui de l'être.
[...] L'âme est comme un théâtre, et toute l'attention se porte désormais sur ce décor imaginaire et sur les mouvements des personnages qui l'animent. A partir du second vers, il n'est en effet plus question de ce vous suggéré par le votre du premier vers. Des références au bal masqué : une atmosphère apparente de gaieté Au charme des références italiennes vient se superposer un charme archaïsant : - bergamasques est un mot rare qui désigne : ~ soit les habitants de la ville italienne de Bergame en Lombardie. [...]
[...] ~ Le paysage est choisi : ce mot, mis en valeur par sa place à la fin du vers, évoque le raffinement aristocratique d'une jeune fille charmée par les plaisirs d'une vie élégante et frivole. Il place d'emblée le poème dans une esthétique du factice (l'antonyme de choisi serait ici naturel ~ Par ailleurs, un certain nombre de critiques ont insisté sur l'ambiguïté rythmique de ce vers : dans un poème où les décasyllabes sont majoritairement césurés (avec des variations au niveau des coupes secondaires), on peut défendre l'hypothèse selon laquelle ce vers serait aussi césuré ainsi : Votre âme est un paysage choisi ce qui mettrait en relief l'expression paysage choisi qui vient après une légère pause. [...]
[...] Le poème s'annonce donc comme un madrigal, qui est une petite pièce en vers, précieuse, qui prend la tournure d'un compliment galant à l'égard d'une femme. Les rimes joignent la rareté bergamasques à la richesse et la poésie y gagne en préciosité. Les premières fêlures Mais ce madrigal prend une tournure paradoxale : l'adjectif tristes vient apporter une première dissonance. Il annonce le sentiment verlainien par excellence, la mélancolie, et permet le passage de l'extériorité à l'intériorité : d'abord saisis de l'extérieur comme de gracieuses apparences, les êtres acquièrent en effet progressivement une âme. [...]
[...] Partant d'une âme équivalente à un paysage, on aboutit à un paysage où tout possède une âme. Les deux dernières strophes sont liées par une virgule : la troisième est composée d'une série d'appositions au clair de lune qui achève la strophe précédente (pas de propositions principales). Tout se passe comme si le vers 8 se prolongeait sur toute la dernière strophe. Celle-ci est construite sur des reprises musicales, plus précisément sur la figure de rhétorique que l'on appelle anadiplose reprise d'un même mot à la fin d'une unité linguistique et au début de l'unité suivante). [...]
[...] Le parfum d'archaïsme est confirmé par l'emploi du verbe charmer : ici, charmer le paysage signifier le mettre sous l'effet d'un enchantement, d'un pouvoir magique. L'accumulation de participes présents insiste sur l'action : charmant jouant et dansant Elle crée aussi une assonance en qui est comme l'image sonore du battement des pieds des danseurs. Le rythme ternaire du troisième vers : jouant du luth / et dansant / et quasi / rythme sautillant, saccadé par l'emploi de quatre monosyllabes, évoque aussi celui de la danse. Associées aux références au bal masqué, ces différents éléments sonores contribuent à créer une atmosphère apparente de gaieté. [...]
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