Publié pour la première fois dans la revue l'Artiste le 1er janvier 1868, avec cinq autres poèmes des futures Fêtes galantes, « L'Allée » est le troisième poème de ce recueil dans la version définitive. Il contraste avec « Sur l'herbe », le poème qui précède : soir/plein midi, discontinuité/continuité (marquée par l'absence de blancs typographiques et par les appositions, dont le lecteur attend le mot auquel elles se rapportent) et surtout modèle musical/modèle pictural.
Le poème semble créer un équivalent textuel à une peinture, probablement imaginée, dont l'allée apparaîtrait comme la ligne de fuite. Comment s'effectue cette transposition d'art, héritée de la tradition romantique (cf. poème intitulé Les Phares de Baudelaire) ?
Certains commentateurs ont vu dans ce quatorzain d'alexandrins un sonnet renversé déguisé, sans aucun blanc typographique (c'est d'ailleurs le seul poème sans blancs du recueil). Cette hypothèse s'appuie notamment sur la ponctuation, qui souligne les frontières « strophiques » du sonnet : elle regroupe les six premiers vers, les quatre suivants et enfin les quatre derniers, ce qui, renversé, donne deux quatrains et un sizain. Est-elle confirmée par l'analyse formelle du poème ?
[...] ~ Par ailleurs, la diction suscite le mot bleuet bleue, et qui associe ironiquement cette promeneuse à l'allure sophistiquée à l'une des fleurs des champs les plus communes. La moquerie du poète est également sensible dans le rapprochement que l'on peut faire de ce mot avec celui de bluette qui désigne une petite pièce en vers, mièvre et sans consistance. ~ Cependant, la queue de la robe, qui évoque celle d'un oiseau, et sa couleur bleue qui rappelle celle du ciel et allège les formes le bleu est en effet une couleur immatérielle, que la nature présente faite de transparence, celle de l'air ou celle de l'eau ancrent cette description dans un monde féerique qui annonce la rêverie des vers suivants. [...]
[...] Ce sixain n'est certes construit que sur deux rimes différentes, et non trois, mais ce procédé a déjà employé par un certain nombre de poètes avant Verlaine. Les adjectifs fardée et peinte nous orientent par ailleurs dès le début du poème vers le thème du déguisement (notons d'ailleurs que la contraction de ces deux adjectifs donne le substantif feinte qui désigne précisément l'action destinée à masquer quelque chose), de même que l'insincérité qui semble caractériser la passante, comme s'il y avait une homologie entre la forme poétique qui se découvrirait peu à peu et l'être décrit. [...]
[...] Une pastorale est un genre littéraire qui met en scène des bergers et des bergères, dépeints d'une manière raffinée et conventionnelle. Elle est introduite en France avec le roman-fleuve d'Honoré d'Urfé, L'Astrée, au XVIème siècle, et connaît son heure de gloire au XVIIème siècle (cf. la pastorale dramatique de Racan intitulée Les Bergeries qui daterait de 1619). Mais la bergerie renvoie aussi au XVIIIème siècle, à la reine Marie-Antoinette et à son célèbre Petit Trianon, à Versailles, dans lequel elle jouait, dit-on, à la bergère, entourée de moutons et de ses dames de compagnie. [...]
[...] Le jugement du connaisseur. Les différents jeux poétiques. Le poète se lance ici dans une célébration ambiguë du corps de la passante à travers un blason La fluidité des vers précédents se retrouve dans ces quatre derniers vers grâce aux deux rejets, qui portent chacun sur des mots de quatre syllabes, mais elle est aussi rompue par les tirets et par l'emploi de formes nominales, qui suggèrent une analogie avec la technique picturale impressionniste : le poète cueille les éléments du visage de la femme en une série de notations juxtaposées, il picore littéralement du regard les différents détails, comme les peintres impressionnistes associent de minuscules touches de couleur pure. [...]
[...] Est-elle confirmée par l'analyse formelle du poème ? Vers 1 à 6. Passage de la belle dans l'allée Le titre, L'Allée repris au quatrième vers, évoque un parc, connotant un univers de luxe, comme ceux représentés sur les tableaux de Watteau : ce parc pourrait être Versailles ou les Tuileries, mais l'art de Verlaine consiste justement à gommer les références, à brouiller les repères spatio- temporels. La femme qui n'apparaît qu'au troisième vers est ainsi anonyme, simplement désignée par le pronom personnel elle Elle est annoncée, sur le plan phonique, par le titre et l'adjectif frêle et, sur le plan syntaxique, par les appositions fardée peinte et frêle Cette construction crée un déploiement de la phrase qui reproduit le cheminement de la passante. [...]
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