Après Madame Bovary. Flaubert commence les premières rédactions de Salammbô en septembre 1857. Quelques mois plus tôt, après avoir gagné le procès qui avait été intenté contre Madame Bovary, il avait fait part dans sa lettre à Mlle Leroyer de Chantepie de son envie de s'accorder une détente « dans un sujet splendide et loin du monde moderne ». Il se propose de travailler à un roman dont l'action se situe trois siècles avant Jésus-Christ. En avril-juin 1858, il séjourne à Tunis pour s'imprégner du cadre de son histoire. Si l'intrigue est une fiction, il se nourrit des textes de Polybe, Appien, Pline, Xénophon, Plutarque et Hippocrate pour peindre le monde antique et bâtir la couleur locale. Dès sa parution en 1862, le roman connaît un succès immédiat. Seul Charles Augustin Sainte-Beuve reproche que l'on arrive un peu vite à la scène du défilé de la Hache, où la plus grande partie de l'armée barbare est cernée. « Nouvelle description, et la plus atroce de toutes, celle de la famine. Imaginez une armée de 40 mille hommes, entassée dans une sorte d'hippodrome formé par la montagne, la double entrée de la gorge barrée par des rochers qu'on a fait rouler, ou par une herse inexpugnable, et là, dans cet immense cul-de-basse-fosse, sur ce radeau de la Méduse en terre ferme, ces 40 mille hommes dévorant les animaux, les mulets, et, après neuf jours de souffrance, en venant à manger leurs propres morts. Ce sont les Garamantes qui commencent et qui donnent le signal de ce festin de cannibales. Bientôt on n'attend plus que le voisin soit mort pour le manger; on le tue, si l'on est le plus fort. Je fais grâce de l'horrible et acharnée description, à laquelle il ne manque ni les songes et les hallucinations des affamés moribonds, ni aucun des symptômes pathologiques rigoureusement observés en pareil cas, ni, au moral, les hideuses révélations de tendresse qui se déclarent à l'heure suprême entre les Hercule et les Hylas de ces bandes dépravées : de fait, après une pareille extermination, complétée par l'irruption et le choc des éléphants numides, la guerre est finie; on a le bouquet. »
[...] Commentaire d'un passage de : Salammbô, Flaubert (de "Sur l'étendue de la plaine, des lions et des cadavres étaient couchés" à "Le Carthaginois, qui regardait penché au haut du précipice s'en retourna.") Sur l'étendue de la plaine, des lions et des cadavres étaient couchés, et les morts se confondaient avec des vêtements et des armures. A presque tous le visage ou bien un bras manquait ; quelques-uns paraissaient intacts encore ; d'autres étaient desséchés complètement et des crânes poudreux emplissaient des casques ; des pieds qui n'avaient plus de chair sortaient tout droit des cnémides (jambières, sorte de guêtres de protection), des squelettes gardaient leurs manteaux ; des ossements, nettoyés par le soleil, faisaient des taches luisantes au milieu du sable. [...]
[...] La troisième étape, c'est la tombée de la nuit, perceptible par les luisances des prunelles fauves brillaient L'obscurité libère les chacals ; les charognards viennent, après les prédateurs, manger les restes. Tout - au sens littéral - sera consommé. Ainsi, tous les éléments de cette scène aussi symbolique que descriptive convergent pour exprimer la destruction totale des hommes. C'est dans cette lumière symbolique que se déploient les éléments de la description. Elle associe assez curieusement les morts - les hommes - et les vivants - les lions. [...]
[...] Au premier degré, les allusions à la lumière aveuglante peuvent assumer la vision africaine ; au second degré, elles contribuent à l'achèvement de l'extermination. L'éclat du jour, exagéré par la réverbération des roches blanches aveugle, endort les lions ; c'est le feu insoutenable qui brûle et dessèche les morts . desséchés les crânes poudreux . Les taches luisantes, ce sont les ossements nettoyés par le soleil Le feu du ciel darde une lumière qui tue, il consume jusqu'au terme ultime de la mort. [...]
[...] Par son dépouillement, la langue laisse libre cours à l'envol de l'imagination du lecteur. Au-delà de l'esthétisme de la vision, à travers l'impassibilité délibérée de la narration, la scène atteint une dimension grandiose ; l'anéantissement des hommes touche au tragique. Donner à imaginer et à penser, c'est précisément dans cette fonction que la littérature est irremplaçable. Une grande scène de lions dévorants et de chacals rapaces achève le spectacle effroyable de ce charnier grandiose comme un Colysée comme le souligne Sainte-Beuve par ses oxymorons. [...]
[...] L'action elle-même rappelle l'aspect dérisoire de la présence humaine dans cet univers impassible où seules triomphent les lois de la nature. Le contraste est frappant entre quelque chose de plus vague qu'un spectre évoquant par une série d'indéterminations et d'impropriétés, la dernière manifestation de la vie humaine, faible jusqu'au mirage et la vision si nette du lion découpant avec sa forme monstrueuse une ombre noire sur le fond du ciel pourpre Le récit par son tempo s'intègre au tableau ; il le fixe en quelque sorte tout en progressant dans la cruauté. [...]
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