On vit alors une chose superbe. Price, debout sur les étriers, la cravache haute, fouaillait Nana d'un bras de fer. Ce vieil enfant desséché, cette longue figure, dure et morte, jetait des flammes. Et, dans un élan de furieuse audace, de volonté triomphante, il donnait de son cœur à la pouliche, il la soutenait, il la portait, trempée d'écume, les yeux sanglants. Tout le train passa avec un roulement de foudre, coupant les respirations, balayant l'air ; tandis que le juge, très froid, l'œil à la mire, attendait. Puis, une immense acclamation retentit. D'un effort suprême, Price venait de jeter Nana au poteau, battant Spirit d'une longueur de tête.
Ce fut comme la clameur montant d'une marée. Nana! Nana! Nana! Le cri roulait, grandissait, avec une violence de tempête, emplissant peu à peu l'horizon, des profondeurs du Bois au mont Valérien, des prairies de Longchamp à la plaine de Boulogne. Sur la pelouse, un enthousiasme fou s'était déclaré. Vive Nana! vive la France! à bas l'Angleterre! Les femmes brandissaient leurs ombrelles ; des hommes sautaient, tournaient, en vociférant ; d'autres, avec des rires nerveux, lançaient des chapeaux. Et, de l'autre côté de la piste, l'enceinte du pesage répondait, une agitation remuait les tribunes, sans qu'on vît distinctement autre chose qu'un tremblement de l'air, comme la flamme invisible d'un brasier, au-dessus de ce tas vivant de petites figures détraquées, les bras tordus, avec les points noirs des yeux et de la bouche ouverte. Cela ne cessait plus, s'enflait, recommençait au fond des allées lointaines, parmi le peuple campant sous les arbres, pour s'épandre et s'élargir dans l'émotion de la tribune impériale, où l'impératrice avait applaudi. Nana ! Nana ! Nana ! Le cri montait dans la gloire du soleil, dont la pluie d'or battait le vertige de la foule.
[...] Nana, Nana, Nana . Le cri montait Entre ces deux mentions, s'élabore une série de mouvements effrénés. Le texte suit une chronologie très rapide. À un passé simple vit succèdent des imparfaits qui donnent l'impression d'un mouvement continu. Le procédé se reproduit dans le second paragraphe, où les imparfaits permettent de transcrire des actions simultanées. La course est narrée en un rapide fragment de phrase ternaire : Tout le train passa avec un roulement de foudre, coupant les respirations, balayant l'air La seconde partie du passage décrit les réactions fébriles de la foule au moyen d'une accumulation verbale. [...]
[...] ] l'impératrice avait applaudi Ainsi ce passage admet plusieurs niveaux de lecture ce qui fait son extrême richesse. E. Zola manie en maître les notations à la fois réalistes et symboliques : le naturalisme peut donc être épique. Que dire d'ailleurs du cheval perdant, Spirit, autrement dit esprit ? Ce que les hommes ont perdu, c'est justement cela, la raison. G. Flaubert avait bien saisi la portée du roman lorsqu'il écrivait : Nana tourne au mythe sans cesser d'être une femme. [...]
[...] Le cri montait dans la gloire du soleil, dont la pluie d'or battait le vertige de la foule. Plan adopté dans le commentaire I. Une scène exubérante - Un spectacle visuel - Un déferlement auditif - Un mouvement effréné II. Le grandissement épique et symbolique - Les images de la mer et de la lumière - La pouliche et l'actrice - Le tableau de la corruption sociale Ce texte est extrait d'un roman d'Émile Zola qui a fait scandale en son temps. [...]
[...] Commentaire d'un passage de Nana, d'Émile ZOLA On vit alors une chose superbe. Price, debout sur les étriers, la cravache haute, fouaillait Nana d'un bras de fer. Ce vieil enfant desséché, cette longue figure, dure et morte, jetait des flammes. Et, dans un élan de furieuse audace, de volonté triomphante, il donnait de son cœur à la pouliche, il la soutenait, il la portait, trempée d'écume, les yeux sanglants. Tout le train passa avec un roulement de foudre, coupant les respirations, balayant l'air ; tandis que le juge, très froid, l'œil à la mire, attendait. [...]
[...] Zola est explicite à ce sujet : le propriétaire de la pouliche (Vandoeuvres) est l'un des anciens amants de Nana. Lorsqu'elle demande, juste avant le texte : A combien suis-je ? l'on ne peut qu'associer le cheval et la prostituée. Le jockey sur le cheval mime un amour bestial : il est animé d'un élan de furieuse audace, de volonté triomphante». Les images de l'animalité sont récurrentes dans le roman et il ne faut guère s'étonner d'assister ici à un orgasme généralisé. [...]
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