Le poème constitue le finale du Musée Grévin, recueil ainsi intitulé parce qu'Aragon y réduit les ennemis et les traîtres à de pauvres figures de cire qu'on pourra remiser, après leur défaite, dans un musée commun. Le poète vient de s'adresser, dans les vers qui précèdent, aux prisonniers déportés et partisans en évoquant leur prochain retour au foyer. L'ensemble des strophes est pénétré du sentiment patriotique de l'auteur et de lyrisme. L'élaboration d'un style personnel passe souvent, de l'aveu même des artistes, par l'imitation des autres qui, à ce titre, a pu même être érigée en doctrine littéraire et esthétique aux XVIe et XVIIe siècles. Elle revêt un tout autre sens dans ces dernières strophes du Musée Grévin d'Aragon. Leur « message » ressort en effet de la conception même de l'imitation et de sa mise en œuvre; si cette imitation relève d'une « innutrition » aussi diffuse que celle des Grecs et des Latins chez un Du Bellay ou un Ronsard, les échos ou les allusions qu'elle suscite veulent néanmoins se faire clairement reconnaître, et plus que tel sonnet des poètes mentionnés ci-dessus, ce passage nous laisse entendre un concert de voix dont la seule présence éclaire déjà le sens et la portée du texte. Aragon y exalte en effet les grands chantres de la France, les œuvres qui font la gloire de ce pays, et il aspire à accorder l'hommage de son présent poème aux hommages du passé pour attester ainsi la pérennité de sa patrie. Ces hommages antérieurs qui définissent les caractères traditionnels du génie français n'empêchent point de percevoir une voix claire et originale, une science du vers et un art de, l'image qui distinguent l'hommage personnel du poète Aragon à son pays.
[...] Commentaire de : Le Musée Grévin (1943), Aragon, in Je vous salue ma France Je vous salue ma France aux yeux de tourterelle Jamais trop mon tourment mon amour jamais trop Ma France mon ancienne et nouvelle querelle Sol semé de héros ciel plein de passereaux Je vous salue ma France où les vents se calmèrent Ma France de toujours que la géographie Ouvre comme une paume aux souffles de la mer Pour que l'oiseau du large y vienne et se confie Je vous salue ma France où l'oiseau de passage De Lille à Roncevaux de Brest au Mont-Cenis Pour la première fois, a fait l'apprentissage De ce qu'il peut coûter d'abandonner un nid Patrie également à la colombe ou l'aigle De l'audace et du chant doublement habitée Je vous salue ma France où les blés et les seigles Mûrissent au soleil de la diversité Je vous salue ma France où le peuple est habile A ces travaux qui font les jours émerveillés Et que l'on vient de loin saluer dans sa ville Paris mon cœur trois ans vainement fusillé Heureuse et forte enfin qui portez pour écharpe Cet arc-en-ciel témoin qu'il ne tonnera plus Liberté dont frémit le silence des harpes Ma France d'au-delà le déluge salut Aragon, Le Musée Grévin (1943) Plan I. LA FRANCE UNIVERSELLE La France, mère des arts . Un pays ouvert au monde Une patrie sans limites II. LA PATRIE DU CHANT Les références au chant Le thème de la fécondité De l'ode à l'élégie III. UN LYRISME PERSONNEL L'harmonie des accords. [...]
[...] Enfin, plus que de la solennité, l'emploi du vous et la démarcation du Je vous salue Marie donnent au refrain un ton de respect et de déférence courtoise qui confine à l'adoration religieuse. Tout cela ajouté aux suggestions d'harmonie relevées plus haut confère à la France personnifiée une sorte de grâce délicate et de féminité vaporeuse qui explique peut-être l'image de l'écharpe et se nuance enfin d'une note de tendresse maternelle dans celle de ce nid dont la chaleur a tant manqué aux prisonniers et déportés. [...]
[...] Et tout cela qui compose ce style un peu déclamatoire de l'ode en général, vient en contrepoint d'une tonalité élégiaque où toute une tradition poétique se fait écho. Aragon s'adresse en effet à la France en amant et serviteur d'une Dame qui la personnifie; il a recours à des expressions tirées de vieilles chansons ou de romans courtois, comme s'il voulait saluer en même temps tous ceux qui, dès le Moyen Age, ont contribué à enrichir le patrimoine littéraire de son pays et à lui donner par là son visage. [...]
[...] Elle revêt un tout autre sens dans ces dernières strophes du Musée Grévin d'Aragon. Leur message ressort en effet de la conception même de l'imitation et de sa mise en œuvre; si cette imitation relève d'une innutrition aussi diffuse que celle des Grecs et des Latins, chez Du Bellay ou Ronsard, les échos ou les allusions qu'elle suscite veulent néanmoins se faire clairement reconnaître, et plus que tel sonnet des poètes mentionnés ci-dessus, ce passage nous laisse entendre un concert de voix dont la seule présence éclaire déjà le sens et la portée du texte. [...]
[...] Pareillement, le chantre de la Beauce et du Val de Loire aurait bien pu souscrire aux vers qui exaltent la fécondité de la terre de France et le génie créateur de son peuple. Mais justement, ce classicisme et tous ces parrainages sont d'une telle évidence qu'on les sent volontaires, et par là chargés de sens, c'est- à-dire conçus comme un hommage au passé littéraire et artistique qui a forgé à jamais la figure de la France, aux poètes qui ont exalté ses grandes heures. [...]
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