Le sonnet six se situe après les cinq sonnets liminaires du recueil qui définissaient la pratique poétique de Du Bellay. Il ouvre la partie élégiaque du recueil où le poète « oppose la réalité comme manque, à l'idéal en tant que réalité supérieure » (Floyd Gray). En effet, à première vue, ce poème déplore la perte de l'inspiration poétique due à l'abandon des Muses de sa jeunesse. Mais plus encore, il se construit, comme beaucoup d'autres poèmes du recueil, autour de l'opposition entre un « autrefois », plein d'espérances brillantes, d'ardeurs poétiques, et un « maintenant » où tout s'est éteint et qui semble ne jamais devoir finir. Ce sonnet vient de façon logique illustrer la dernière phrase du poème cinq qui s'achevait ainsi : « Moi, qui suis malheureux, je plaindrai mon malheur ». l'Art poétique de Du Bellay dans ce poème, se définissait ainsi entièrement par rapport à la plainte, à la douleur. Il s'agit en effet pour Du Bellay d' « enchanter » ses ennuis au moyen de la poésie. Du Bellay destine avant tout sa poésie à lui-même et le lecteur n'est jamais qu'un « convive » libre de partir à tout moment. Le sonnet six inaugure donc un thème qui sera récurrent dans le courant de l'œuvre. Mais l'originalité de ce sonnet tient aussi à la manière dont l'auteur conjugue l'élégie avec la satire. Nous sommes donc invités à regarder au-delà de l'apparent désespoir du poète. Dans quelle mesure ce poème, qui porte sur l' « impossibilité de créer » (« poein »), illustre-t-il la conception poétique de Du Bellay ?
[...] Ce poème semble donc avoir avant tout pour vocation de chasser la peine du poète. La question du où est trouve ainsi quasiment sa réponse au sein même du poème : on peut presque parler ici de la distensio de l'âme évoquée par Augustin dans ses Confessions. Seul le travail de l'esprit peut parvenir à réunir passé et présent, ici rendus par l'opposition entre le temps de l'imparfait et du présent. Le tissu poétique se nourrit ainsi d'une attente tournée vers le passé. [...]
[...] De façon paradoxale, l'essence de la poésie de Du Bellay est en effet le manque : comme le montre la brièveté du poème et son silence final, sa poésie refuse le lyrisme ; elle ne tente pas de combler l'absence, mais cherche seulement à en rendre compte. On remarque d'ailleurs la rareté significative de la première personne du singulier dans le texte, le Je n'arrivant qu'au huitième vers. Il semble même que la souffrance exprimée par le poète s'atténue dans le courant du poème : en effet, le désir est réduit au rang de souci et l'immortalité n'est plus synonyme que de postérité (v.3,12). On peut donc observer un détachement progressif du poète. [...]
[...] Il s'agit bien ici de faire part de ses regrets (v.11). Les quatrains rappellent de façon lancinante à la mémoire la perte subie : où est (v.1, v.2), repris par le où sont (v.5) qui suggère une gradation dans la perte. Les trois questions des deux premiers quatrains prennent de l'ampleur au fur et à mesure du texte (la première ne fait qu'un vers, la troisième tout une strophe), comme si le poète n'était plus maître de sa peine, et qu'il se laissait aller à un épanchement, vite contenu dans le premier tercet. [...]
[...] Le poète apparaît bien ici comme le jouet du destin. La fortune est maîtresse du poète qui se réduit à l'état de serf Cette opposition, révélatrice d'un rapport de force défavorable pour le poète, semble sans issue. En effet, on note un écart entre le premier maintenant du sonnet et le deuxième : alors que le premier faisait état d'une perte, le deuxième est ici au service d'une constatation, d'un état de fait impossible à changer, comme le suggère sa position en début de phrase, qui sonne comme un rappel brutal à la réalité, après l'incursion dans l'imaginaire du poète que représentait la danse des Muses. [...]
[...] Ce thème du néo-stoïcisme chrétien met en relief la vanité de toutes choses. L' immortalité apparaît finalement comme un leurre entretenu par l'orgueil des hommes. On peut ainsi noter une dégradation des valeurs traditionnelles de la poésie au cours du poème : la dimension épique du premier quatrain disparaît à la fin du poème au profit de considérations presque triviales je n'ai plus de soucis En effet, le lexique employé dans le premier quatrain était hautement hyperbolique : vainqueur de toute adversité désir de l'immortalité flamme au peuple non commune On pouvait d'ailleurs observer une gradation dans l'énumération, la perte la plus grande étant bien sûr la flamme poétique qui définissait l'identité profonde du poète en le différenciant des autres. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture