Cet extrait s'inscrit dans le cadre d'un grand mouvement qui va du général au particulier au sein du dialogue de Mlle de Lespinasse et de Bordeu. L'évocation par Bordeu de la formation de l'animal dont l'organisme est conçu comme un réseau de faisceaux dont chaque brin correspondrait à un organe et assurerait par là sa fonction propre, est suivie d'illustrations particulières que sont les « monstres », organismes dont la conformation insolite est expliquée par la défaillance de certains brins du faisceau. A l'évocation de l'animal sentant en général, succède le passage sur les monstres, et notre extrait commence au moment où l'on dérape vers l'être humain sexué qui constitue un champ plus restreint de l'animal. La première tirade de Bordeu semble traiter scientifiquement des parties génitales de l'homme et de la femme. Le mouvement du passage qui précède de peu cet extrait, et qui se prolonge dans la première tirade de Bordeu, laisse croire que l'on est devant un savant qui examinerait son objet par une loupe de façon à aller toujours plus vers le particulier et le détail. Et à travers ce mouvement même, on constate également une abstraction finale portant sur le statut et la fonction du cerveau humain, et cela relève de la philosophie matérialiste. Comment s'opère-t-il donc ce passage du scientifique vers le philosophique, et quelle est la tension interne de l'extrait qui est le moteur de sa progression ?
[...] Commentaire composé: Le Rêve d'Alembert, de Diderot, p207-209 Cet extrait s'inscrit dans le cadre d'un grand mouvement qui va du général au particulier au sein du dialogue de Mlle de Lespinasse et de Bordeu. L'évocation par Bordeu de la formation de l'animal dont l'organisme est conçu comme un réseau de faisceaux dont chaque brin correspondrait à un organe et assurerait par là sa fonction propre, est suivie d'illustrations particulières que sont les monstres organismes dont la conformation insolite est expliquée par la défaillance de certains brins du faisceau. [...]
[...] D'une part la longue tirade de Bordeu (notamment lignes 8-26) et d'autre part la reprise du même contenu scientifique par d'Alembert (lignes 44-54) forment deux blocs qui se caractérisent par un effort encyclopédique de description physique des organes sexuels de l'homme et de la femme de façon comparative. On constate que Bordeu affiche l'intention de mettre l'accent sur la scientificité de ses propos à plusieurs reprises. Sa tirade en question s'inaugure en attribuant une certaine ignorance à Mlle de Lespinasse, et la formule au conditionnel avec le sens de l'irréel du passé si vous eussiez su (ligne dénote cette ignorance en même temps que le verbe savoir insiste sur une problématique de connaissance : Bordeu essaye en effet de combler par sa science l'ignorance de son interlocutrice. [...]
[...] Dans les deux cas la lexis mobilisée est dominée par les mots prétendus techniques : l'auto- justification de Bordeu (lignes 42-43) se base sur cet argument de la nécessité du vocabulaire technique, précis, détaillé : fœtus femelle/mâle ; gland ; prépuce ; orifice ; canal urinaire ; anus ; scrotum ; périnée ; verge ; vulve Précisément à la ligne 24, l'utilisation d'un procédé de définition intervalle qu'on appelle périnée laisse supposer une attitude de maître de la part de Bordeu, envers son élève Mlle de Lespinasse. Et le verbe remarquer (ligne 20) appartient également au domaine de l'observation scientifique. Le ton pourrait donc sembler didactique, et par là même scientifique. La longue tirade de Bordeu semble encyclopédique en raison de la lexis mobilisée mais plutôt pédante en raison de sa construction syntaxique assez singulière. Les reprises anaphoriques des conjonctions de subordination que rattachées à une unique principale, font un effet de flux verbal et savant par leur complexité grammaticale même. [...]
[...] Comment s'opère-t-il donc ce passage du scientifique vers le philosophique, et quelle est la tension interne de l'extrait qui est le moteur de sa progression ? Ainsi serons-nous amenés à nous demander d'abord si cette dérive du dialogue vers l'anatomie comparée des organes génitaux des deux sexes, possède véritablement un intérêt scientifique et nous nous efforcerons dans une première lecture de dégager une cohérence du discours scientifique. Mais une deuxième lecture centrée sur l'érosion de la prétention scientifique du dialogue à travers l'érotique et le comique, nous révélera le régime du double fonctionnement de l'extrait en même temps que le caractère dramatique du Rêve. [...]
[...] Par ailleurs la réplique en question de d'Alembert (lignes 44-54) ne possède pas une originalité propre, et semble avoir une fonction de renchérissement sur les propos de Bordeu, comme en témoigne la formule vous disiez donc (ligne 46) adressée à Bordeu. C'est un résumé scientifique des propos de Bordeu dans la mesure où la reformulation aboutit à une sorte de concision et de précision supérieures à celles de Bordeu. [...]
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